Mali : Le groupement européen de forces spéciales « Takuba » n’est plus… mais Paris veut préserver « son esprit »

Il y a un peu plus de trois ans, à l’occasion d’une visite au 4e Régiment d’hélicoptères de forces spéciales [RHFS], Florence Parly, alors ministre des Armées, avait appelé les pays européens à déployer des commandos au Sahel, dans le cadre de l’opération Barkhane, afin d’accompagner les armées locales au combat, contre les groupes jihadistes.

« Il faut accompagner les forces armées sahéliennes après les avoir formées, y compris lorsqu’elles vont au combat, et pas seulement dans les états-majors. Ce n’est pas un sport de masse, j’en conviens. […] Mais si les Européens, qui sont directement concernés, ne le font pas, qui, alors, le fera? », avait alors demandé Mme Parly.

En novembre 2019, l’ex-ministre des Armées annonça la formation prochaine d’un groupement européen de forces spéciales, appelé « Takuba » [« sabre » en Tamachek]. « Ce sera le sabre qui armera les forces armées maliennes sur le chemin de l’autonomie et de la résilience », avait-elle alors assuré. Seulement, il restait à trouver les pays européens désireux d’y participer.

En effet, si dix d’entre-eux apportèrent leur soutien politique à cette initiative française en mars 2020, peu d’entre-eux s’engagèrent à envoyer leurs forces spéciales au Sahel… Cependant, l’Estonie, la République tchèque et la Suède donnèrent leur accord. Ce qui permit de prononcer la capacité opérationnelle initiale [IOC] de Takuba en juillet de cette année-là. D’autres pays firent savoir qu’ils envisageait d’y prendre part, comme le Danemark et l’Italie.

Finalement, Takuba put atteindre sa pleine capacité opérationnelle en avril 2021, après le déploiement d’un important contingent suédois [150 militaires et 3 hélicoptères UH-60 Black Hawk ainsi qu’un avion de transport C-130 Hercules, ndlr]. À noter que le groupement européen fut même commandé par un colonel suédois pendant quelques mois.

Si l’accompagnement des Unités légère de reconnaissance et d’intervention [ULRI] des forces armées maliennes [FAMa] par les « Task Group » de Takuba fit la preuve de son efficacité, l’évolution du contexte politique à Bamako, marqué par un coup d’État menée en deux temps par le colonel Assimi Goïta, et l’arrivée au Mali du groupe paramilitaire russe Wagner auront eu raison du groupement européen de forces spéciales.

En janvier, le Danemark fut contraint de rappeler le contingent qu’il venait de déployer à Ménaka au sein de Takuba après un différend diplomatique avec Bamako. Puis, la décision de la France de réorganiser son dispositif militaire au Sahel et de retirer ses troupes du Mali sonna le glas du groupement européen.

« Opérationnellement parlant, Takuba a rempli sa mission, la remplit et la remplira aussi longtemps que durera le désengagement du Mali, y compris le sien propre. Politiquement, elle est très utile, d’abord par le signal de solidarité stratégique européenne qu’elle envoie, et surtout par le fait que le dialogue avec les Maliens serait beaucoup plus compliqué s’il n’y avait que les Français : la présence de plusieurs pays européens dans Takuba rompt ce face-à-face », avait expliqué, en février, le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition parlementaire.

Et d’ajouter : « Pour autant, je ne pense pas que Takuba soit directement transposable dans un autre pays. D’abord, nous ne pouvons pas décider d’un lieu où l’installer : il faut trouver un pays africain qui veuille bien l’accueillir. Mais surtout, c’est rendu impossible par les processus politiques propres aux pays participants à Takuba. »

Le groupement européen aurait pu se redéployer au Niger, étant donné que Niamey a récemment adopté une loi autorisant de « nouvelles implantations de forces spéciales étrangères » [notamment européennes] au « plus près des théâtres d’opération », c’est à dire le long de la frontière avec le Mali. Mais encore faudrait-il , comme l’a souligné le CEMA, que les pays contributeurs soient d’accord pour pousuivre leur engagement sur le sol nigérien…

Aussi, un peu plus d’un an après avoir atteint sa « pleine capacité opérationnelle », l’histoire Takuba a pris fin. L’annonce en a été faite par l’État-major des armées [EMA], ce 1er juillet.

« La réorganisation du dispositif militaire français au Sahel, décidée en relation étroite avec les partenaires européens et nord-américains, a conduit à la fin des opérations de Takuba au Mali à compter du 30 juin », a en effet indiqué l’EMA, via un communiqué.

« L’opération Barkhane et la TF Takuba témoignent de ce dont les Européens sont capables d’accomplir ensemble dans des environnements sécuritaires complexes. Ainsi, les leçons tirées de cette expérience opérationnelle et ‘l’esprit Takuba’ perdureront hors du Mali », a encore fait valoir l’EMA. D’autant plus que, a-t-il fait valoir, « outre le partage d’une appréciation de situation, des procédures communes et une fraternité d’armes ont été forgées », ce qui a « permis à toutes les nations contributrices de développer une évaluation et une conscience communes de la situation ».

Vu de Paris, Takuba est donc un « succès stratégique et tactique ». Succès stratégique parce que plus de dix pays européens « ont décidé de s’engager conjointement dans une lutte commune » contre les groupes terroristes. Succès tactique car cette force européenne a « permis la formation d’unités maliennes adaptées au combat contre les terroristes, évitant ainsi la territorialisation » des organisations jihadistes, en particulier celle de l’État islamique au grand Sahara [EIGS] dans la région dite des trois frontières.

Par ailleurs, le 30 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a reconduit, pour un an de plus, le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA], laquelle, désormais, ne pourra plus compter sur l’appui aérien que lui fournissait jusqu’alors la force Barkhane.

Cependant, le gouvernement malien de transition a fait part de son opposition à plusieurs dispositions prévues dans ce nouveau mandat, dont celle prévoyant une obligation d’enquêter sur les violations présumées des droits humains commises tant par les groupes terroriste que par les FAMa et les paramilitaires russes. Aussi, il a prévenu qu’il ne garantirait pas la liberté de mouvement de la MINUSMA. Ce qui est déjà le cas, la mission de l’ONU n’ayant toujours pas pu se rendre dans la localité de Moura [centre] où des exactions auraient été commises en mars dernier, par les soldats maliens et leurs supplétifs de Wagner contre la population civile.

Photo : EMA

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