Le nouveau gouvernement libyen et Ankara réaffirment l’accord de 2019 sur les frontières maritimes

Jusqu’en mars dernier, la Libye avait deux gouvernements : l’un officiellement reconnu par la communauté internationale car installé à Tripoli sous l’égide des Nations unies dans le cadre des accords de Skhirat de 2015, l’autre établi à Tobrouk et tirant sa légitimité du Parlement élu en juin 2014. Évidemment, une telle situation ne pouvait que donner lieu à des affrontements.

Proche de la mouvance des Frères musulmans, le gouvernement de Tripoli, appelé GNA, put compter sur le soutien du Qatar et surtout sur celui de la Turquie. Quant à celui de Tobrouk, soutenu par l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, il fut notamment appuyé par les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie.

En novembre 2019, après la signature d’un protocole d’accord avec le GNA sur ses frontières maritimes, la Turquie envoya des armes, des conseillers militaires et des mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens pro-turcs à Tripoli. Ce qui permit aux milices pro-GNA ne reprendre l’initiative face à l’ANL, qui menaçait alors la capitale libyenne. Puis le front se figea à la hauteur d’al-Jufrah.

Pendant un temps, et alors que les livraisons d’armes au profit des deux camps se poursuivaient et que plus de 20.000 combattants étrangers fourbissaient leurs armes, une reprise des hostilités fut redoutée, ce qui aurait potentiellement motivée une intervention militaire égyptienne, Le Caire refusant de voir des troupes pro-turques [et surtout issues des Frères musulmans] à ses frontières.

Finalement, les négociations diplomatiques entre les deux camps débouchèrent sur un cessez-le-feu, signé en octobre 2020… mais pas sur le départ des combattants étrangers, comme l’accord le prévoyait. Puis, sous l’égide des Nations unies, un processus politique fut mis en route. Et il vient d’aboutir à la formation d’un seul gouvernement, dirigé par Abdelhamid Dbeibah, le GNA comme les autorités de Tobrouk ayant fini par s’effacer. Et, désormais, il est question d’organiser des élections d’ici décembre prochain.

Depuis que ce nouveau gouvernement est entré en fonction, en mars, Tripoli connaît une effeverscence diplomatique, avec plusieurs pays, comme l’Égypte, Malte ou encore la France, qui ont annoncé leur intention de rouvrir leur ambassade.

Et la capitale libyenne n’a cessé d’accueillir des ministres et des responsables étrangers. Le 25 mars, les chefs de la diplomatie française, allemande et italienne ont ainsi fait le déplacement pour y rencontrer les nouvelles autorités et marquer leur appui au processus politique en cours. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a aussi fait le voyage pour manifester le soutien de l’Union européenne [UE] au nouveau gouvernement. Puis les Premiers ministres grec et italien, Kyriakos Mitsotakis et Mario Draghi s’y sont également rendus le 6 avril.

Cela étant, pour le chef de l’exécutif grec, l’enjeu était d’aborder le protocole d’accord sur les frontières maritimes signé par Ankara et l’ex-GNA en novembre 2019. « Cette nouvelle étape dans nos relations permettra de corriger et d’effacer les erreurs commises durant la phase précédente », a ainsi déclaré M. Mitsotakis, demandant « l’annulation des documents illégaux présentés comme des accords entre États alors qu’ils n’ont aucune valeur juridique ».

En effet, entre la Turquie et la Libye se trouvent les eaux territoriales grecques, chypriotes et égyptiennes… qui recèleraient d’importants gisements de gaz naturel et où doit se construire le gazoduc EastMed, impliquant la Grèce, la République de Chypre, Israël et l’Italie. D’où la remise en cause juridique du protocole d’accord en question, sur lequel s’appuie Ankara pour justifier ses forages en Méditerranée orientale, au motif qu’il « porte atteinte au droits souverains des États tiers » et qu’il n’est « pas conforme au droit de la mer ».

En réponse à M. Mitsotakis, le Premier ministre libyen a dit souligner « l’importance de tout accord susceptible d’apporter des solutions adéquates tout en préservant les droits de la Libye, de la Grèce et de la Turquie. » Et d’ajouter : « Nous sommes prêts à constituer des commissions mixtes avec la Grèce pour reprendre les discussions sur la délimitation des frontières maritimes, et définir la zone économique exclusive pour chaque pays entre la Crète et la Libye. »

Seulement, moins d’une semaine plus tard, Abdelhamid Dbeibah, que l’on dit proche des milieux économiques turcs, s’est rendu à Ankara, à la tête d’une imposante délégation. Et là, il n’a pas été question de « commissions mixtes » avec Athènes pour discuter des frontières maritimes.

« En ce qui qui concerne les accords signés entre nos pays, notamment celui portant sur les délimitations maritimes, nous réaffirmons que ces accords s’appuient sur des bases valides et servent les intérêts de nos deux pays », a ainsi affirmé Abdelhamid Dbeibah, au côté du président turc, Recep Tayyip Erdogan. « Aujourd’hui, nous avons renouvelé notre détermination » au sujet de cet accord, a confirmé ce dernier.

« Nous voulons renforcer notre solidarité et notre coopération […]Nous allons soutenir le gouvernement d’unité nationale de la même manière que nous avons soutenu le précédent gouvernement légitime [de Tripoli] », a même assuré M. Erdogan. Ce qui veut dire que le soutien militaire d’Ankara ne cessera pas étant donné qu’un accord à ce sujet avairt également été signé avec le GNA en novembre 2019. D’ailleurs, en décembre dernier, le Parlement turc a prolongé de 18 mois l’autorisation de déployer des militaires turcs en Libye.

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