Pour l’Italie, l’autonomie stratégique européenne ne doit pas se faire aux dépens des liens avec les États-Unis

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, le 12 janvier, la ministre des Armées, Florence Parly, a expliqué que la « boussole stratégique », c’est à dire l’analyse des menaces et des vulnérabilités de l’Union européenne [UE], doit permettre de marquer une « nouvelle étape » vers une « ambition encore plus forte » pour l’Europe de la défense que celle défendue jusqu’à présent par la France.

Cette ambition se résume en trois mots : autonomie stratégique européenne. Un concept que le président Macron ne cesse de défendre depuis le début de son mandat, estimant que l’UE « ne peut plus remettre sa sécurité aux seuls États-Unis. »

En novembre 2019, dans un entretien donné à l’influent hebdomadaire britannique « The Economist », et après jugé que l’Otan se trouvait en « état de mort cérébrale », M. Macron avait affirmé que le contexte international, marqué par la « montée en puissance de la Chine » ainsi que par le « virage autoritaire de la Russie et de la Turquie » rendait « plus que jamais essentiel » de doter l’Europe d’une « autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire. »

Lors d’un discours à l’École de guerre, en février 2020, et à cette fin, M. Macron a proposé un « dialogue stratégique » aux Européens sur le « rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective », étant donné que les forces stratégiques françaises « jouent un rôle dissuasif propre, notamment en Europe » et « renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et, à cet égard, ont une dimension authentiquement européenne.

Depuis, cette proposition n’a pas rencontré le succès espéré… Et, à la veille de l’élection présidentielle américaine, le 3 novembre dernier, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a publié une tribune sur le site Politico pour affirmer qu’il fallait « en finir avec l’illusion d’une autonomie stratégique européenne », estimant que « les Européens ne pourront pas remplacer le rôle capital qu’ont les États-Unis en tant que garants de leur sécurité. »

Cependant, Mme Kramp-Karrenbauer a également plaidé pour un « renforcement des capacités militaires allemandes [et européennes] » car les « les États-Unis ne pourront pas porter seuls la bannière des valeurs occidentales. »

Ce à quoi M. Macron a répondu que la position de la ministre allemande était un « contresens de l’histoire ». Et d’ajouter, dans un entretien accordé à la revue « Le Grand Continent » : « Les États-Unis ne nous respecteront en tant qu’alliés que si nous sommes sérieux avec nous­mêmes, et si nous sommes souverains avec notre propre défense. Je pense donc qu’au contraire, le changement d’administration américaine est une opportunité de continuer de manière totalement pacifiée, tranquille, ce que des alliés entre eux doivent comprendre : nous avons besoin de continuer à bâtir notre autonomie pour nous-mêmes, comme les États-Unis le font pour eux, comme la Chine le fait pour elle. » Au passage, le président français a noté que la chancelière Merkel n’était « pas sur cette ligne ». Mais elle quittera ses fonctions en septembre 2021 et nul ne sait la position que défendre celui ou celle qui lui succédera….

En tout cas, la réponse du président français n’a nullement fait fléchir Mme Kramp-Karrenbauer. « L’idée d’une autonomie stratégique de l’Europe va trop loin si elle nourrit l’illusion que nous pourrions assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité de l’Europe sans l’Otan ni les États-­Unis », lui a-t-elle rétorqué lors d’un discours prononcé à l’université de la Bundeswehr, à Hambourg

On en était là quand le ministre italien de la Défense, Lorenzo Guerini, a expliqué la position de son pays au sujet de cette autonomie stratégique européenne dans les colonnes de Defense News. Et la ligne qu’il a défendue n’est pas exactement celle de la France.

« L’Italie ne considère pas que l’autonomie stratégique européenne comme une politique de cavalier seul. Elle y voit une confirmation du rôle de l’Europe en tant que pilier de l’architecture de sécurité collective basée sur le pacte transatlantique », c’est à dire l’Otan et les liens avec les États-Unis, a fait valoir M. Guerini.

« L’avenir de la défense européenne ne peut être séparé d’une solide intégration transatlantique. Aujourd’hui, comme par le passé, les États-Unis doivent rester liés à l’Europe et à l’Otan, via une relation réciproque en matière de sécurité et de défense », a ajouté le ministre italien, après avoir soutenu que son pays « joue un rôle de premier plan, comme il l’a toujours fait, dans le processus d’intégration [européen] car il considère l’Europe comme un choix stratégique et un multiplicateur de ressources pour relever les défis futurs. »

Cependant, si l’Italie « souhaite développer ses propres capacités de défense dans le cadre de ce projet européen », elle « garde néanmoins la conviction profonde que la relation transatlantique est essentielle pour [lui] garantir une position géopolitique en adéquation avec ses ambitions et sa base technologique [de défense] », a expliqué M. Guerini.

S’agissant de l’industrie de défense, ce dernier estime que la « coopération transatlantique est essentielle au succès des nouveaux programmes qui stimuleront la croissance de l’industrie italienne et contribueront à la réalisation des ambitions nationales. »

Et de conclure : « L’une de ces ambitions est d’avoir une technologie de pointe et une industrie nationale compétitive à l’échelle mondiale pour permettre à l’Italie de continuer à être un participant pertinent aux programmes les plus innovants, en particulier ceux lancés par son ami et allié, les États-Unis. »

Photo : F-35B de la marine italienne © Marina Militare

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