L’Otan craint un retrait précipité d’Afghanistan, qui « risquerait de faire perdre tous les acquis »

Dans son livre « Le jeu du roi« , dans lequel il raconte les repérages réalisés aux côtés de Pierre Schoendoerffer pour le film « La passe du diable », Joseph Kessel décrit l’Afghanistan comme un pays patriarcal et féodal, aux moeurs rudes et vivant dans le souvenir – encore très pregnant dans les années 1950 – des guerres contre les troupes britanniques. Il évoque l’impossibilité de parler avec des femmes [et encore moins de les filmer] mais aussi l’hospitalité généreuse des Afghans, pour peu qu’on ne vienne pas les voir avec des fusils.

Depuis, l’Afghanistan a connu la chute du roi Zaher Shah, un coup d’État d’inspiration communiste, une opération militaire soviétique, une guerre civile, la prise du pouvoir par les taliban, la présence d’al-Qaïda et une intevention américaine, avec le concours de l’Otan.

Pour autant, ces évènements ne semblent pas avoir eu de prise sur ce pays… Cinquante ans après Joseph Kessel, un autre écrivain voyageur, Louis Meunier, en a fait un tableau similaire dans son livre « Les Cavaliers afghans« . « Dans ce pays sans âge, on ne parle pas en nationalités, mais en peuples. On ne compte pas en kilomètres, mais en jours de route. Quand on se quitte, on se dit Zenda Bashi, sois vivant, parce que l’existence est incertaine », écrit-il.

Récemment, un ancien officier de l’US Army a raconté une anecdote qui résume sans doute tout. Ainsi, il a raconté que, lors d’une patrouille près de la frontière pakistanaise, l’unité qu’il commandait a rencontré des villagois, qui n’avait jusqu’alors jamais vu de soldats américains, près de dix ans après le début des opérations contre les taliban et al-Qaïda. « Grâce à un interprète, nous leur avons dit que nous travaillions avec leur gouvernement pour assurer la sûreté et la sécurité en Afghanistan. Ils ont répondu : ‘Qu’est-ce qu’un gouvernement?’, ‘Qu’est-ce que l’Afghanistan?’ Alors j’ai levé les yeux de leurs visages déconcertés vers les montagnes imposantes et je me suis demandé comment nous gagnerions la guerre si les gens que nous essayions d’aider ne comprenaient même pas nos objectifs », a-t-il confié.

Aussi, devant les progrès réalisés depuis près de vingt ans au regard des sommes colossales qui ont été englouties et les pertes humaines, d’aucuns estiment qu’il est temps d’arrêter les frais, d’autant que les objectifs du départ, à savoir l’élimination d’Oussama ben Laden et de ceux qui préparèrent les attentats du 11 septembre 2001, sont atteints. Tel est, en tout cas, l’état d’esprit du président Trump. Ce qui a donné lieu à l’accord signé avec le mouvement taleb afghan, le 29 février dernier, à Doha, après des négociations mouvementées.

Pour l’actuel chef de la Maison Blanche, il importe que les forces américaines quittent l’Afghanistan en bon ordre, même si les taliban de respectent pas à la lettre cet accord de Doha, comme ils l’ont encore montré en tendant une embuscade meutrière aux forces de sécurité afghane dans le nord-est du pays [25 tués, le 21 octobre]. Le 8 octobre, il a fait savoir qu’il voulait accélérer le mouvement. « Nous devrions faire rentrer à la maison d’ici à Noël le petit nombre de nos courageux hommes et femmes qui servent encore en Afghanistan! », a-t-il lancé via Twitter.

Pour rappel, et selon l’accord de Doha, le mouvement taleb afghan a pris l’engagement d’entamner des pourparlers de paix avec Kaboul et de ne pas laisser al-Qaïda [qui a fait allégeance à son chef] et d’autres organisation terroristes opérer depuis l’Afganistan. En échange, les troupes américaines doivent se retirer progressivement.

Seulement, les États-Unis ne sont pas seuls dans cette affaire : l’Otan, qu’ils ont sollicité, est aussi de la partie, avec la mission Resolute Support, qui visa à former les forces de sécurité afghanes. Et, visiblement, la volonté de Washington de se désengager du pays lui pose un problème, d’autant que les violences continuent.

« Un dilemme va se poser dans les prochains mois », a estimé Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, le 23 octobre. « Soit nous quittons l’Afghanistan avec le risque de voir tous les acquis disparaitre et le pays devenir un refuge pour les terroristes, soit nous restons, mais ce sera pour un engagement dans la durée avec le risque d’affrontements avec les taliban », a-t-il expliqué. « Nous devons en discuter ensemble et nous prendrons les décisions ensemble », a-t-il continué, avant d’insister sur le fait que les « prochains mis seront décisifs. »

Lors de la conférence de presse qu’il a donné le même jour, M. Stoltenberg a martelé que les taliban « doivent honorer leurs engagements, réduire considérablement leur niveau de violence et ouvrir la voie à un cessez-le-feu. » Et d’ajouter : « Ils doivent rompre tout lien avec al-Qaïda et d’autres groupes terroristes internationaux. Et ils doivent négocier de bonne foi. »

Cela étant, a-t-il encore souligné, « l’Otan reste attachée à la sécurité à long terme de l’Afghanistan. Et cette semaine encore, les alliés et partenaires de l’OTAN ont renouvelé leur engagement à fournir un soutien financier aux forces afghanes jusqu’en 2024. »

Sur ce point, l’Allemagne a fait savoir qu’elle maintiendrait ses engagements en Afghanistan. « Je continue à attendre de nos partenaires qu’ils quittent le pays ensemble et qu’ils coordonnent leurs actions à cet égard », a déclaré Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande de la Défense.

Par ailleurs, l’Otan a accepté de renforcer sa mission de formation en Irak, tout en mettant en garde, là aussi, les États-Unis contre la tentation d’un retrait unilatéral.

« La situation sécuritaire en Irak reste préoccupante, mais l’Otan est prête a renforcer et à étendre sa mission de formation des forces irakiennes » ainsi qu’à « augmenter ses effectifs » et à « élargir leurs responsabilités en concertation avec les autorités irakiennes et la coalition mondiale contre l’État islamique », a dit M. Stoltenberg. Ce dernier n’a pas été en mesure de préciser l’ampleur du renfort évoqué. « La planification va être lancée et ce sera discuté lors de la prochaine réunion des ministres de la défense en février 2021 », a-t-il conclu.

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