Les États-Unis préviennent la Turquie que son essai du système russe S400 aura des « conséquences graves »

Le 16 octobre, et comme l’avaient suggéré plusieurs indices, comme la publication d’une notice limitant les mouvements aériens et navals dans les environs de la ville de Sinop, sur les bords de la mer Noire, il a été rapporté que les forces turques venaient de procéder au tir d’au moins un missile intercepteur du système russe de défense aérienne S-400 « Triumph ». Ce qu’Ankara a par la suite refusé de confirmer.

Cet essai du S-400 a-t-il été concluant? Au regard des rares images publiées sur les réseaux sociaux, certains en doutent, comme le site spécialisé russe Avia.pro. Selon ce dernier, et si on peut effectivement y voir le départ du missile, « absolument rien ne se passe après, il n’a pas été possible de filmer le moment où le missile touche sa cible. Et on n’entend aucun bruit d’explosion. » Mais la brièveté des vidéos ne permet pas d’arriver à une conclusion aussi définitive.

Finalement, ce n’est qu’une semaine plus tard que les autorités turques ont confirmé cet essai du système S-400. Le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, l’a d’abord sous-entendu du bout des lèvres, le 22 octobre, en affirmant, auprès de l’Otan, que « chaque acquisition dans le domaine de la défense comprend des tests et des contrôles des systèmes. » Puis, le lendemain, le président Recep Tayyip Erdogan s’est montré plus explicite.

« Ces tests, il est vrai, ont été effectués et vont continuer », a lancé le président turc. On ne va pas demander l’avis des États-Unis pour cela », a en effet déclaré le président turc.

Pour rappel, les États-Unis s’opposent à ce que les forces turques puissent utiliser un système russe de défense aérienne aussi moderne que peut l’être le S-400 « Triumph », en faisant valoir que ce dernier n’est pas, au risque de les compromettre, interopérable avec les moyens de l’Otan, et notamment avec le F-35, l’avion de 5e génération commandé par Ankara à 100 exemplaires. D’où, d’ailleurs, l’exclusion de la Turquie de ce programme conduit par Lockheed-Martin.

« La Grèce [membre de l’Otan, ndlr] possède des S-300 et les utilise. Est-ce que les États-Unis disent quelque chose là-dessus? Non », a poursuivi M. Erdogan. « Le fait qu’on possède des armes russes dérange ces messieurs mais nous sommes décidés à continuer à les utiliser », a-t-il insisté.

Effectivement, depuis 2000, les forces grecques disposent de deux batteries de défense aérienne S-300 PMU1 de facture russe, récupérées auprès de la République de Chypre afin d’éviter une nouvelle crise avec la Turquie. Déployés en Crète, ces systèmes ont été testés pour la première fois en décembre 2013. Un rumeur indique par ailleurs qu’un nouvel essai serait programmé en novembre prochain, soit sept ans après le premier [et le second en vingt ans]. Cela étant, deux autres pays de l’Otan possèdent des S-300, hérités de la période soviétique : la Slovaquie et la Bulgarie.

Quoi qu’il en soit, la confirmation des essais du système S-400 faite par le président Erdogan n’a pas manqué de faire réagir à Washington, où, au Congrès, plusieurs élus demandent des sanctions à l’égard de la Turquie, notamment au titre de la loi dite CAATSA, qui prévoit des mesures à l’encontre de tout pays se procurant du matériel militaire auprès d’entreprises russes.

Ainsi, le 17 octobre, alors qu’Ankara n’avait encore rien officiellement confirmé, le sénateur républicain Jim Risch avait qualifié le test du S-400 par la la Turquie de « comportement inacceptable » de la part d’un allié de l’Otan, expliquant que cela représentait une « menace direct pour les chasseurs-bombardiers F-35 ainsi que pour les autres systèmes utilisés par les États-Unis et l’Otan. » Et d’insister : « La loi américaine exige des sanctions contre les pays qui continuent d’approfondir leurs relations de défense avec la Russie, et l’administration devrait envoyer un signal fort indiquant que la Turquie doit céder ses S-400. »

Le sénateur démocrate Bob Menendez avait affiché la même position. « La Turquie doit être sanctionnée immédiatement pour son achat et son utilisation de ce système », avait-il réagi, allant jusqu’à affirmer, campagne électorale oblige, que le « non-respect de la loi par le président Trump et ses affinités pour Recep Tayyip Erdogan constituent une menace sérieuse pour notre sécurité nationale et celle de nos alliés et partenaires de l’Otan en Europe ».

Cela étant, et après la confirmation de M. Erdogan, le Pentagone a fini par réagir. « Le département de la Défense condamne dans les termes les plus forts le test effectué le 16 octobre par la Turquie du système de défense aérienne S-400 », a déclaré Jonathan Hoffman, son porte-parole. « Notre position a toujours été claire et elle n’a pas changé : un système S-400 opérationnel n’est pas compatible avec les engagements pris par la Turquie en tant qu’allié des Etats-Unis et de l’Otan », a-t-il continué, avant de prévenir Ankara de « conséquences graves » sur sa relation de défense avec Washington.

Reste à voir où cette affaire va aller. Pour le moment, tant que les élections américaines n’ont pas encore eu lieu et que les éventuels nouveaux élus n’auront pas trouvé leurs marques, il y aura probablement de flottement… En outre, M. Erdogan a d’ores et déjà menacé Washington de mesures de rétorsion dans le cas où des sanctions seraient prises contre son pays, en mettant dans la balance une possible interdiction d’accès des forces américaines à la base aérienne d’Incirlik [qui abrite un dépôt de bombes nucléaires tactiques B-61 de l’Otan, ndlr] ainsi que la fermeture de celle de Kurecik, où est installé un radar clé pour le boucler antimissile de l’Alliance.

Photo : Système S400

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