Une intelligence artificielle va bientôt affronter un pilote de F-16 dans un combat aérien simulé

En 1997, le grand maître des échecs, Gary Kasparov, s’inclinait devant Deep Blue, le supercalculateur d’IBM. De quoi y voir la supériorité de la machine sur l’homme… Mais à y regarder de plus près, l’ordinateur était pourtant encore loin d’être infaillible. Après avoir gagné une première confrontation, un an plus tôt, contre une version moins élaborée de Deep Blue, le champion russe n’avait perdu que deux parties sur les six disputées [quatre s’étant terminées sur un pat].

Un peu plus de vingt ans plus tard, le logiciel AlphaGo affronta les meilleurs joueurs de Go, un jeu de stratégie d’origine chinois aux règles plus compliquées que celles des Échecs. Et la machine s’imposa notamment contre Fan Hui [champion européen] et Lee Sedol, considéré comme étant le meilleur joueur du monde dans les années 2000. Une première. Cependant, si sa victoire fut totale en parties lentes contre Fan Hui [5-0], elle le fut beaucoup moins en partie rapides [3-2]. En revanche, Lee Sedol ne put remporter qu’une seule manche sur les cinq disputées face au programme.

En 2018, une nouvelle étape fut franchie avec AlphaZero. Élaboré par DeepMind Technologies et basé sur un système d’apprentissage par renforcement, cet algorithme s’imposa face aux meilleures intelligences artificielles du moment dans les domaines des échecs [Stockfish], du jeu de go [AlphaGo] et du shogi [Elmo]. Ayant appris les règles de ces trois jeux sans intervention humaine, cette machine s’était entraînée en disputant des millions de parties contre elle-même avant d’affronter les autres algorithmes, reposant par ailleurs sur des données collectées lors de parties réelles jouées par des humains.

« AlphaZero joue d’une manière extrêmement innovante, ni comme un humain, ni comme une machine, avec une stratégie de jeu très dynamique », avait alors expliqué Demis Hassabis, le Pdg fondateur de DeepMind, au quotidien Les Échos.

Cela étant, la supériorité d’AlphaZero ne fut, là encore, pas totale. Y compris contre d’autres algorithmes. Si il remporta 91,2% des victoire au shogi, le système de DeepMind Technologies eut un peu plus de mal au go [61% des victoires] et aux échecs, avec « seulement » 155 victoires [et 6 défaites] sur 1.000 parties jouées.

En février dernier, Elon Musk, le Pdg de Tesla et de SpaceX, affirma que, avec les progrès de l’intelligence artificielle, l’ère des avions de chasse allait être bientôt « révolue ». Et d’insister, plus tard, via Twitter : « Le concurrent [du F-35] devrait être un drone piloté à distance par un humain, mais aux capacités augmentées par un système autonome. Le F-35 n’aurait aucune chance contre un tel appareil ».

Certes, le propos de l’entrepreneur renvoyait à une expérience qui, réalisée en 2016 par l’US Air Force Research Laboratory et l’entreprise Psibernetix, avait mis aux prises le colonel Gene Lee, un pilote de chasse expérimenté; à une intelligence artificielle appelée « Alpha », lors de simulations de combats aériens. Et la machine démontra des capacités suprenantes.

« J’ai été surpris par la manière dont elle était consciente et réactive. Elle semblait être consciente de mes intentions et réagir instantanément à mes changements en vol et à mes déploiements de missiles. Elle savait comment déjouer le tir que je faisais. Elle changeait instantanément entre les actions défensives et offensives en fonction des besoins » confiera le colonel Lee au magazine Popular Science.

Depuis, dans le cadre du programme Air Combat Evolution [ACE] qui vise à renforcer les interactions « homme-machine », la DARPA, l’agence chargée de l’innovation au Pentagone, a lancé la compétition AlphaDogFight, qui voit s’affronter plusieurs équipes ayant mis au point des algorithmes d’intelligence artificielle « capables d’effectuer des manœuvres de combat aérien simulées à portée visuelle. »

Pour le moment, il s’agit de faire s’affronter les algorithmes entre-eux, comme AlphaZero avec Stockfish, AlphaGo et Elmo. L’épidémie de covid-19 ayant perturbé cette compétition, les huit équipes encore en lice vont enfin pouvoir se mesurer les 19 et 20 août prochains depuis le Johns Hopkins Applied Physics Laboratory [APL] à Laurel [Maryland]. L’évènement sera retransmis en direct via ZoomGov [AlphaDogfight Trials TV ou ADT TV] et Youtube.

Parmi les équipes présentes figurent Aurora Flight Sciences, EpiSys Science, Georgia Tech Research Institute, Heron Systems, Lockheed Martin, Perspecta Labs, PhysicsAI et SoarTech. Le meilleur algorithme se mesurera ensuite à un « vrai » pilote de F-16, via un simulateur, a indiqué la DARPA, le 7 août.

« Que l’humain ou la machine remporte le combat aérien final importe peu étant donné que les essais AlphaDogfight visent à accroître la confiance dans l’intelligence artificielle », a commenté le colonel Dan Javorsek, le responsable du programme. Cependant, a-t-il ajouté, « si une intelligence artificielle gagne le respect d’un pilote de F-16, nous aurons fait un pas de plus vers la réalisation d’une interface homme-machine efficace pour le combat aérien, ce qui est l’objectif du programme ACE. »

Reste que, même après ce « duel » simulé, qui permettra sans doute de voir si l’instinct peu contrer la logique d’une machine [tout en ne confondant pas réflexe et réflexion…], le débat ne sera pas encore clos. Récemment, le directeur du Joint Artificial Intelligence Center [JAIC] au Pentagone, le général Jack Shanahan, a fait savoir qu’il était question d’organiser un combat aérien entre un drone autonome et un avion de chasse en juillet 2021.

Photo : PhysicsAI

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