Le chef du Pentagone estime que les Européens doivent en faire plus pour soutenir la France au Sahel

Se trouvant actuellement à Washington pour une visite de deux jours, la ministre des Armées, Florence Parly, ne ménage pas ses efforts pour tenter de convaincre les responsables américains de maintenir le soutien des États-Unis à la force Barkhane, à l’heure où Mark Esper, le chef du Pentagone, est en train de faire une revue des engagements militaires à l’étranger, dans l’optique de recentrer ses forces sur les défis posés par la Chine et la Russie.

Au Sahel, ce soutien américain concerne les domaines du transport aérien, du renseignement et du ravitaillement en vol, assurément crucial pour permettre aux Mirage 2000D de l’armée de l’Air d’intervenir dans une région aussi vaste que l’Europe. D’un coût annuel de 45 millions de dollars par an, ce qui est relativement modeste au regard des autres interventions militaires américaines, il agit comme un multiplicateur de forces. C’est, en tout cas, l’argument qu’a fait valoir Mme Parly lors de son entretien avec M. Esper, le 27 janvier.

« Au Sahel, la France l’a dit clairement : nous avons besoin du soutien américain [transports, ravitaillement, renseignement]. Un soutien discret mais précieux au service d’une cause commune : la lutte contre le terrorisme », a en effet souligné la ministre, via Twitter.

« Nos amis au Sahel sont dans une situation où notre assistance est cruciale, et j’ai exprimé l’espoir que les Etats-Unis et la France continuent à les soutenir », a ensuite déclaré Mme Parly, lors de la conférence de presse organisée à l’issue de son entretien avec le chef du Pentagone. Et elle n’a pas manqué d’insister sur le « partage du fardeau », une expression chère au président Trump.

« C’est un cas classique de partage du fardeau, où un soutien limité des États-Unis optimise un effort immense de la France et de l’Europe », a expliqué la ministre française.

En outre, le Sahel n’est pas la seule préoccupation de Paris. Le maintien de la coalition anti-jihadiste au Levant en est une autre. Sur ce point, Mme Parly a fait valoir que, en Irak, la « France est déterminée dans son combat contre Daesh ». Et d’ajouter : « Nous restons pleinement impliqués dans la formation des forces irakiennes, tandis que nos Rafale volent toujours au Levant. La France demeure en première ligne, aux côtés des Américains, pour la stabilité régionale. »

Aussi, Mme Parly a également insisté sur la « lune de miel opérationnelle » que vit la France avec les États-Unis. « À l’entraînement comme sur les sur les théâtres d’opérations, nos armées coopèrent au quotidien et ont développé une très grande interopérabilité. Nous continuerons ainsi », a-t-elle assuré en commentant une photographie offerte à M. Esper et sur laquelle on peut voir des militaires français et américains côte à côte.

De tels arguments ont-ils fait mouche? Lors de la conférence de presse, M. Esper s’est gardé de dire un mot sur ses intentions, y compris sur l’avenir de la base américaine d’Agadez, qui vient juste de commencer ses opérations au Niger. « Aucune décision n’a encore été prise », a-t-il dit. « Mon objectif est d’ajuster notre présence militaire dans beaucoup d’endroits » dans un contexte de concurrence entre puissances, a-t-il rappelé.

Quoi qu’il en soit, M. Esper a estimé que les Européens pourraient s’engager davantage au Sahel. « Cela pourrait compenser les changements auxquels nous procédons », a-t-il affirmé, avant de préciser qu’il a des « consultations avec Mme Parly depuis plusieurs mois. » Et d’ajouter : « Nous continuerons à le faire quand nous prendrons des décisions. »

Justement, la France s’attache à convaincre ses partenaires européens à en faire davantage au Sahel, notamment via la Task Force Takuba, qui visera à déployer des forces spéciales auprès des forces armées locales afin de les accompagner au combat. Le Royaume-Uni, le Danemark et l’Estonie appuient déjà la force Barkhane. Enfin, l’Union européenne a mis en place, en 2013, l’EUTM Mali, qui consiste à former et à entraîner les unités maliennes.

Cela étant, certains membres du Congrès sont récemment montés au créneau en faveur d’un maintien des forces américaines au Sahel et en Afrique de l’Est pour poursuivre la lutte anti-terroriste [tel a été le cas de l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, qui a judicieusement fait observer que la Chine et la Russie cherchent aussi à accroître leur influence sur le continent africain]. Mais cet avis n’est pas partagé outre-Atlantique.

Spécialiste des questions militaires et actuellement chroniqueur au Washington Examiner [après avoir travaillé pour CNN, The National Interest ou encore The American Conservative], Daniel R. DePetris a récemment estimé que le Congrès devrait aider l’administration Trump à « inciter les Européens à s’impliquer beaucoup plus » au Sahel, d’autant plus que l’Union européenne a fait de cette région une « priorité stratégique ».

« Pourtant, à l’exception notable de la France, qui vient d’envoyer 220 soldats supplémentaires en plus des 4.500 soldats qu’elle a déjà déployés, les États européens ont choisi de faire comme si le problème n’existait pas. Une présence symbolique de formateurs européens peut difficilement être qualifiée d’engagement digne d’une priorité stratégique », a taclé M. DePetris en évoquant l’EUTM Mali. « Si l’Europe veut à nouveau être prise au sérieux dans les affaires du monde, ses dirigeants doivent assumer le rôle de chef de file dans les défis de sécurité qui l’affectent directement », a-t-il conclu.

Des propos qui sont à rapprocher avec ceux que vient de tenir Tibor Nagy, le secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, lors d’une tournée en Afrique. « Les problèmes du Sahel ne seront pas réglés par la France ou les États-Unis. Ce sont aux pays du Sahel de le faire. Pour faire reculer les terroristes, vous avez besoin de bonne gouvernance, d’un retour de l’État dans l’espace abandonné par les terroristes, en apportant la sécurité, des services de santé, l’éducation. Vous pourrez avoir autant de partenaires internationaux que vous voulez, au final tout dépend de la volonté des pays concernés », a-t-il dit.

Photo : Mirage 2000D ravitaillé par un KC-135 de l’US Air Force

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