Lockheed-Martin arrête les frais avec ALIS, le logiciel nécessaire à la maintenance de l’avion F-35

Le fonctionnement de l’avion de combat F-35, développé par Lockheed-Martin, repose en grande partie sur ALIS [Autonomic Logistics Information System], un système informatique qui, comptant une grosse dizaine de millions de lignes de code, prend en charge les opérations, l’analyse prédictive et la chaîne d’approvisionnement en pièces détachées, via des applications Web sur un réseau distribué. En clair, sa finalité est de faciliter la maintenance de l’appareil.

Seulement, ce système, malgré les améliorations apportées au fil des mises à jour, n’a jamais donné pleinement satisfaction, en plus de susciter beaucoup de scepticisme…

En effet, sur un plan strictement opérationnel, certains, y compris au sein même du Pentagone, se sont inquiétés de la vulnérabité d’un tel système en cas d’attaque informatique. Qui plus est, avec le logiciel JRE [Joint Reprogramming Entreprise], qui est une base de données partagés sur les systèmes d’armes mis en oeuvre par des adversaires potentiels, un escadron de F-35 doit disposer de 13 serveurs; ce qui suppose une logistique lourde, dans des environnements « dégradés ».

En outre, chaque information relative aux vols effectués par les F-35 est envoyé vers les serveurs de Lockheed-Martin, à Fort Worth [Texas]. Ce qui n’est pas au goût des clients étrangers de cet appareil, qui n’ont pas forcément envie de voir leurs données sensibles ainsi collectées par Lockheed-Martin, souvent à leur insu?

Mais au-delà de ces aspects, et en plus d’être coûteux [16,7 milliards de dollars durant son cycle de vie « pluriannuel », selon le Government Accountability Office, l’équivalent américain de la Cour des comptes], le système ALIS n’a jamais vraiment tenu ses promesses en termes de maintenance. Pire : il aurait même compliqué ce qu’il était censé simplifier.

En mars 2018, l’amiral Mat Winter, alors chef du programme F-35 au Pentagone, avait admins que la fonction d’analyse prédictive, qui permet à l’appareil « d’auto-diagnostiquer » des composants défectueux, ne fonctionnait pas toujours, les mécaniciens étant régulièrement invités à remplacer des éléments pourtant en parfait état de marche. Et le tout est couronné par des difficultés dans l’approvisionnement en pièces détachées. Évidemment, le taux de disponibilité s’en ressent.

« Une unité de l’US Air Force a estimé qu’elle passait l’équivalent de plus de 45.000 heures par an à effectuer des tâches supplémentaires parce qu’ALIS ne fonctionnait pas comme il le fallait », avait avancé le GAO, en novembre dernier.

Et c’est sans parler des « plantages » du logiciel. Comme en juin 2017, quand, après une mise à jour, un dysfonctionnement d’ALIS cloua au sol les 14 14F-35B du Marine Fighter Attack Squadron 211.

« Je peux vous assurer qu’aucun responsable de l’Air Force ne nommera sa fille Alice », avait ironisé Heather Wilson, alors secrétaire de l’Air Force, en février 2019, en évoquant le logiciel du F-35.

Le logiciel « ALIS ne reflète pas toujours la réalité, ce qui entraîne occasionnellement des annulations de mission. Et ce problème persiste, même avec la version 3.0.1 d’ALIS » et il « ne permet pas aux opérateurs étrangers d’empêcher que leurs données confidentielles soient envoyées aux États-Unis », avait résumé Defense News, en juin dernier.

Finalement, la situation étant intenable et les critiques nombreuses, Lockheed-Martin va arrêter les frais avec ALIS… et développer un nouveau logiciel qui, appelé ODIN [Operational Data Integrated Network], prendra en compte les observations et surtout les exigences des pilotes et des techniciens.

L’annonce en a été faite par Ellen Lord, secrétaire adjointe à la Défense pour les acquisitions et la maintenance, lors d’une audition parlementaire. La mise au point d’ODIN se fera dans le cadre du financement actuel d’ALIS et ne devrait donc pas générer de « frais supplémentaires pour le contribuable », a-t-elle assuré.

« ODIN sera basé dans le cloud et conçu pour fournir des données en temps quasi réel sur les performances des avions et des systèmes avec une cybersécurité renforcée », a également expliqué Mme Lord. Mais elle n’a rien dit au sujet des données relatives aux F-35 exploités ailleurs qu’aux États-Unis…

Le système ODIN devrait être disponible en 2022 pour les F-35A [la version classique, le F-35B et F-35C, déployés à bord de navires, devant attendre], ce qui laisse supposer que les ingénieurs de Lockheed-Martin ne partiront pas d’une feuille blanche et qu’ils reprendront sans doute des applications d’ALIS.

Cependant, sans atteindre cette échéance, l’US Air Force a déjà entrepris de développer une suite logicielle visant à remédier aux problèmes d’ALIS.

Appelé « Mad Hatter », il propose plusieurs applications « distinctes qui aident les responsables de la maintenance à faire ce qu’ils faisaient sans ALIS », avait expliqué Steve Wert, directeur des programmes numériques de l’Air Force, en mai 2019.

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