Le Service de santé des armées se penche sur la surcharge cognitive du combattant

En mettant l’accent sur le combat collaboratif, le programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation], mis en oeuvre par l’armée de Terre, est porteur d’un risque potentiel : la surcharge cognitive du combattant. C’est à dire que ce dernier sera susceptible d’être submergé par un flux d’informations trop important pour qu’il soit traité correctement.

« Cette surcharge peut amener le chef mal formé à ne pas distinguer l’essentiel ni évacuer ce qui ralentit sa décision », avait ainsi relevé le lieutenant-colonel Sébastien de Peyret, ex-responsable du Laboratoire Scorpion, dans un article publié en mars 2018. Et d’insister sur le « savoir utile » qui préserve de la tentation de « vouloir savoir tout, tout de suite » et de celle « d’attendre de tout savoir pour décider. »

Dans son rapport pour avis sur les crédits alloués au programme  » Environnement et prospective de la politique de défense » [.pdf], le député Didier Baichère évoque ce sujet, en s’interrogeant « sur le combat numérisé et sur les limites cognitives de l’homme face à une grande quantité d’informations et à la nécessité d’une prise de décision rapide. »

Et le sujet intéresse particulièrement l’Institut de recherche biomédicale des armées [IRBA], dont la division « Santé du militaire en opération » se concentre sur les neurosciences et sciences cognitives [perception sous contrainte, réalité augmentée, gestion du risque et de l’erreur, prise de décision], les environnements opérationnels [gestion de la fatigue et des rythmes veille-sommeil, physiologie de l’exercice et des activités en conditions extrêmes] et le soutien médico-chirurgical des forces.

Lors de la 45e session de Centre des Hautes Etudes de l’Armement [CHEAr], en 2009, la question de savoir s’il fallait « adapter les hommes aux armements ou les armements aux hommes » avait été posée. Et le rapport du député donné une réponse à cette interrogation.

« Des recherches [de l’IRBA] portent sur l’adaptation de l’homme aux armes et sur leur ergonomie. Il est relevé à ce propos que l’avis des spécialistes n’est généralement pas requis suffisamment en amont mais seulement au moment où une difficulté devient patente et qu’une modification de l’équipement est alors complexe et coûteuse », a en effet noté le député Baichère sur ce point, avant de plaider pour « que l’ergonomie et l’adaptation de l’arme à l’homme, et non l’inverse, soient considérés très en amont du développement. »

Quoi qu’il en soit, les recherches en cours visent surtout à faire les deux, c’est à dire à adapter les combattants aux armements et les armements aux combattants.

Ainsi, explique le député, un « apport du SSA [Service de santé des armées] a consisté à utiliser des capacités auditives humaines peu exploitées afin d’alléger la charge visuelle ». Et d’ajouter : « Il s’agit en l’occurrence du recours à la localisation sonore et à la diffusion, à l’intérieur du casque, de sons différents à droite ou à gauche pour indiquer la provenance d’un objet ou d’une menace, pour remplacer la lecture d’un écran. » Ce qui ne fait pas diminuer le volume d’informations, ces dernières étant communiquées d’une manière différente.

« Un projet de recherche porte sur la tâche cognitive du fantassin qui est aujourd’hui hyperinformé et doit pouvoir poser un engagement en connaissance de cause. Le SSA conseille le concepteur quant au débit d’informations acceptable pour qu’elles demeurent compréhensibles », a encore indiqué M. Baichère.

Cela étant, un article publié par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement [CDEC] estimait que « l’augmentation des capacités cognitives des chefs [pouvait] se faire de différentes façons », l’objectif étant de « gagner en lucidité [contre la fatigue, le stress] et en efficacité [rapidité, complexité] dans la prise de décision. »

Ainsi, expliquaient les auteurs de cet article, l’imagerie médicale pourrait permettre de « sélectionner les chefs sur leur aptitude à résister au stress, à la fatigue, et à prendre des décisions complexes. » Et pour augmenter certaines de leurs fonctions cognitives, ils citèrent la « stimulation électrique transcrânienne [tDCS] », dont des recherches de l’US Air Force avait montré qu’une « stimulation par électrode au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral gauche permettait l’augmentation de la capacité à traiter plusieurs problèmes simultanément. »

L’usage de produits « dopants » avait également été évoqué. « Le recours à la pharmacopée, à différents produits dont les effets secondaires seront de mieux en mieux connus. On peut citer entre autres: le propranolol [bêtabloquant utilisé depuis 1960] pour réduire le stress, les ‘ampakines’, stimulants utilisés pour augmenter la mémoire, ou le modafinil, qui sert pour lutter contre la narcolepsie et qui améliore la résistance à la privation de sommeil », firent valoir les auteurs.

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