Vente d’armes à l’Arabie Saoudite : Une enquête ouverte pour « compromission du secret de la défense nationale »

« Des documents classés ‘confidentiel défense’ prouvent que des armes françaises peuvent tuer des civils au Yémen ». C’est par cette phrase que commence l’enquête publiée par Disclose, un nouveau medium d’investigation, au sujet de l’usage que feraient l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis des équipements milaires que leur a vendu la France.

Pour rappel, en 2015, l’Arabie Saoudite a pris la tête d’une coalition arabe pour soutenir les forces loyales au président yéménite Abdrabbo Mansour Hadi contre les rebelles Houthis, appuyés par l’Iran. Et puisqu’il s’agit d’une « coalition », plusieurs pays sont par conséquent impliqués dans cette intervention militaire sous commandement saoudien, dont les Émirats arabes unis, le Soudan, le Maroc ou encore l’Égypte.

Et, contrairement à ce qu’une certaine musique voudrait faire croire, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ne se procurent pas des armes uniquement auprès de la France. Et, d’ailleurs, les notes de la Direction du renseignement militaire [DRM] utilisées pour l’enquête de Disclose donnent un large aperçu des équipements militaires livrés par plusieurs autres pays à Riyad et Abu Dhabi.

Ainsi, les États-Unis y ont obtenu de juteux contrats, de même que la Chine [drones MALE] et la Russie [systèmes d’artillerie TOS-1A et SA-22 Pantsir livrés à Riyad]. Des Européens ne sont pas en reste : ainsi, Rheinmetall Denel Munition, la filiale sud-africaine du groupe allemand, dispose d’une usine produisant des munitions destinées aux forces saoudiennes tandis que BAE Systems [membre du consortium Eurofighter] a livré des Eurofighter Typhoon et des Tornado à la Royal Saudi Air Force.

Quant aux rebelles Houthis, le groupe d’experts des Nations unies pour le Yémen a affirmé, à plusieurs reprises et preuves à l’appui, qu’ils disposent d’armes de facture iranienne (dont des drones, des missiles, des mines, etc).

Quoi qu’il en soit, cette mise en perspective n’était pas le propos de l’enquête de Disclose, qui parle d’un « mensonge d’État » au sujet de l’usage d’armes françaises au Yémen par les forces saoudiennes et émiraties. Seulement, les notes de la DRM, estampillées « Confidentiel Défense – Spécial France » et produites par les auteurs de cette enquête ne permettent pas, à elles-seules, d’être aussi affirmatif étant donné qu’elles usent largement du conditionnel.

Cela étant, Disclose a considéré que la publication de ces deux notes, destinées à l’Élysée, était « commandée par la nécessité d’ouvrir un débat équilibré sur les contrats d’armements liant l’État français à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. »

Seulement, diffuser de tels documents n’entre pas dans le cadre de la loi dite Sapin II relative aux « lanceurs d’alerte » puisqu’elle ne concerne pas les informations couvertes par le secret de la défense nationale. Aussi, Disclose était conscient des risques judiciaires auxquels il s’exposait en agissant de la sorte.

En effet, les articles R.2311-2 et R.2311-3 du code de la défense définissent trois niveaux de classification : « Très Secret Défense », « Secret Défense » et « Confidentiel Défense », mention réservée aux informations dont la « divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret classifié au niveau Très Secret Défense ou Secret Défense. »

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale [SGDSN] est clair : « Compromettre un secret de la défense nationale consiste à le révéler, en tout ou partie, à quelqu’un qui n’a pas à en connaître. La compromission est punie de sept d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende selon les dispositions de l’article 413-10 du code pénal. »

Aussi, dans ces conditions, et même si certaines informations étaient connues [comme l’engagement de chars Leclerc au Yémen par les Émirats, ce qui a même donné lieu à un RETEX publié en France], une enquête pour « compromission du secret de défense nationale » ne pouvait qu’être ouverte à la suite d’une plainte déposée en décembre le ministère des Armées concernant cette fuite de documents « Confidentiel Défense ».

D’après l’AFP, le parquet de Paris a ainsi chargé la Direction générale de la sécurité intérieure [DGSI] de mener les investigations dans le cadre de cette enquête, laquelle « vise une compromission impliquant une personne dépositaire et par un tiers. »

Et au moins trois journalistes ont été convoqués pour une audition libre dans les locaux de la DGSI.

Pour Disclose, ainsi que pour les rédactions qui lui sont associées, « cette procédure contre des journalistes n’a d’autre objectif que de connaître leurs sources. En effet, cette convocation de la DGSI donne toute latitude éventuelle pour rechercher l’auteur principal du délit dont nous nous serions le receleur : les personnes ayant permis la divulgation d’informations d’intérêt public ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]