La Marine nationale va aider les pays du golfe de Guinée à lutter contre la pêche illégale

L’une des plus anciennes opérations militaires françaises en Afrique n’est pas terrestre… mais navale. En effet, depuis 1990, dans le cadre de l’opération Corymbe, la France déploie régulièrement un ou deux navires dans le golfe de Guinée afin de contribuer à la sécurisation de cette zone, en lien avec la plupart des marines des dix-neuf pays riverains.

« La France s’appuie sur les liens qu’elle a su tisser et entretenir depuis plus de 30 ans avec les partenaires de la région, notamment grâce aux différents mandats de l’opération Corymbe, ainsi que
sur son expertise et son modèle national en matière d’Action de l’État en mer [AEM]. Elle accompagne ainsi la montée en puissance des marines riveraines et, dans le même temps, partage ses savoir-faire afin de permettre aux États riverains d’assurer eux-mêmes la sécurisation de leurs espaces maritimes », explique en effet le ministère des Armées.

En 2013, et notamment afin de faire face à une piraterie maritime alors en plein essor, les pays riverains ont adopté une stratégie régionale commune de sécurité maritime qui, appelée « architecture de Yaoundé », vise à renforcer la coopération entre leurs forces navales respectives. Et, depuis, l’une des tâches « prioritaires » de l’opération Corymbe est justement de soutenir cette architecture de sécurité maritime.

Traversé par de nombreux flux maritimes, le golfe de Guinée ne manque pas d’enjeux sécuritaires… Mais c’est surtout de piraterie maritime qu’il a été question au cours de ces dernières années, dans la mesure où ce phénomème a eu tendance à prendre de plus en plus d’ampleur, selon les rapports régulièrement établis par le Bureau maritime international [BMI] et, plus récemment, par le Centre d’analyse et d’évaluation de la situation de sûreté maritime mondiale [MICA Center] de la Marine nationale, installé à Brest.

Face à cette situation, les armateurs mirent la pression sur les États européens en appelant à une « coalition » contre la piraterie. Le plus important d’entre eux étant le danois Maersk, le Danemark y répondit favorablement, en mai 2021. « Si nous voulons vraiment maîtriser la sécurité dans le golfe de Guinée, une présence militaire internationale est nécessaire. Du côté danois, nous essayons de faire en sorte que davantage de pays prennent leurs responsabilités », avait ainsi expliqué Copenhague.

Cela étant, le phénomène de la piraterie maritime a masqué d’autres enjeux sécuritaires sans doute encore plus importants [et qui en étaient probablement la cause…], comme la pêche illégale, notamment pratiquée à grande échelle par la Chine.

Quoi qu’il en soit, et d’une façon assez étonnante, les actes de piraterie et de brigandage maritimes ont chuté significativement, passée de 115 incidents en 2020 à seulement 16 entre entre javier et juin 2022. Si les actions de sécurisation maritime ont sans doute eu un rôle dans cette évolution, elles n’expliquent pas tout, comme l’ont relevé les sénateurs Bernard Fournier et François Bonneau, dans un rapport sur le golfe de Guinée qu’ils viennent de remettre.

Ainsi, selon les spécialistes de la région, le « facteur déterminant » de cette diminution sensible des actes de piraterie serait « plutôt à rechercher à l’intérieur du Nigeria », les « les troubles politiques et sociaux majeurs dans le delta du Niger [ayant] sans doute joué un rôle essentiel dans le développement de la piraterie dans les années 2010 », a expliqué M. Fournier, lors de l’examen du rapport en commission. « Inversement, l’approche des élections présidentielles au Nigeria a probablement un lien avec la diminution des attaques, tout comme, à l’inverse, l’augmentation massive du pillage des oléoducs à terre, 80% de la production étant volée! », a-t-il ajouté.

S’ils ne préconisent pas de baisser la garde en matière de lutte contre la piraterie, les deux rapporteurs estiment en revanche que davantage d’efforts sont à faire pour contre « deux autres menaces peut-être encore plus grave », dont la pêche illégale et les trafics illicites, en particulier de drogues, à destination de l’Europe.

S’agissant de la pêche illégale, elle est le fait de « bateaux souvent chinois ou russes, qui prélèvent des quantités dépassant les capacités de reconstitution des stocks ». Et cela alors que plus de sept millions de personnes dans la région vivent des ressources de la mer, qui plus est à un moment où « le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest et dans le golfe de Guinée a doublé en deux ans ».

Selon le MICA Center, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée [INN], qui s’accompagne par ailleurs de « multiples trafics », en particulier de pétrole, « demeure le facteur prédominant d’instabilité économique dans le golfe de Guinée car elle maintient une forte pression sur les stocks halieutiques au détriment des populations locales. Le développement des usines de farine et d’huile de poisson accentue encore le phénomène » dans la mesure où celle-ci « ne cible plus les espèces lucratives démersales mais au contraire les petits pélagiques migrateurs […] qui représentent pourtant la pêche privilégiée des pêcheurs artisanaux et les espèces les plus consommées par les populations ouest africaines ».

Cette question a d’ailleurs été au menu d’une réunion organisée cette semaine à Brest, dans le cadre de l’architecture de Yaoundé. Ainsi, les représentants de la Marine nationale et des forces navales des pays riverains sont convenues de faire désormais porter les efforts sur la lutte contre la pêche illégale et le trafic de drogues.

« Depuis un certain temps, l’accent a été mis sur la piraterie. Il est temps que nous concentrions notre action sur la lutte contre la pêche illégale », a en effet déclaré le contre-amiral nigérian Istifanus Albara, le directeur du centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest. « S’attaquer à la pêche illégale est une de nos principales priorités actuellement à cause des bénéfices que cela peut avoir pour nos économies et pour la sécurité alimentaire », a-t-il insisté.

Ce qu’a confirmé l’amiral Olivier Lebas, le commandant de la zone maritime Atlantique, dont relève l’opération Corymbe. « On ne va pas se focaliser sur la lutte contre la piraterie qui est très à la mode chez nous », a-t-il dit. « Notre coopération s’attache à traiter de manière égale toutes les difficultés de la sécurité maritime dans la zone, vu du prisme africain et non pas européen seulement », a-t-il précisé, citant la lutte contre la pêche illégale, les trafics et les pollutions.

Selon l’amiral Lebas, « entre 40 et 50% des captures de pêches seraient faites illégalement » dans le golfe de Guinée, ce qui représente un à deux milliards de dollars de « ressources perdues » chaque année. « Les pêcheurs locaux ont de plus en plus de mal à vivre de leur pêche. Ils prennent de plus en plus de risques, sont obligés d’aller plus loin car la ressource se tarit, avec des bateaux pas forcément adaptés », ce qui provoque ds « morts en mer », a-t-il expliqué.

Photo : Opération Corymbe – Marine nationale

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