Le ministère des Armées s’interroge (à nouveau) sur la relocalisation d’une filière de munitions de petit calibre

L’été dernier, et selon un responsable de l’Otan récemment cité par le New York Times, l’armée ukrainienne aurait tiré entre 6000 et 7000 obus d’artillerie par jour… soit six à sept fois moins que les forces russes. À titre de comparaison, l’industrie française de l’armement ne peut actuellement en produire que 20’000 par an. Et cela vaut aussi pour les munitions dites « complexes », comme les missiles et autres bombes guidées.

Aussi, pour faire face au premier choc d’un engagement de haute intensité, et au-delà des considérations sur les équipements et leur maintien en condition opérationnelle [MCO], la question des stocks de munitions se pose. Or, en France, la gestion en flux tendus a prévalu durant ces dernières années. Du moins était-ce la logique portée par les politiques de « rationalisation », comme la RGPP [Révision générale des politiques publiques] entre 2008 et 2012 et la MAP [modernisation de l’action publique], qui prit le relais.

« En abolissant la logique de stock, l’impératif budgétaire s’est traduit par la montée en puissance d’une logique de fonctionnement en flux tendus, dépassant très largement le seul cadre des biens réservés pour s’étendre à celui des munitions et des parcs opérationnels. Initialement développée dans le cadre industriel, la logique de flux tendu cherche à limiter au maximum la déperdition et l’inactivité de la valeur par l’optimisation du flux, mobile, au détriment du stock, inactif », rappelle ainsi Leo Péria-Peigné, dans une note de l’Institut français des relations internationales [IFRI], publiée en décembre [.PDF].

Cette logique de flux tendus a commencé à être remise en cause par l’État-major des armées [EMA] durant la crise liée à la pandémie de covid-19. Pour les munitions mais aussi pour certains composants critiques des équipements… Puis, la guerre en Ukraine a fini par convaincre de la nécessité de constituer à nouveau des stocks…. Et de mettre sur pied une « économie de guerre ».

« La reconstitution d’un certain nombre de stocks, notamment de munitions, est l’enjeu de l’économie de guerre », a ainsi souligné Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 30 novembre [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].

Seulement, et au-delà des aspects réglementaires [avec la législation liée à l’environnement par exemple], des problèmes de recrutement de personnels qualifiés et des difficultés d’approvisionnement en matières premières, cette entreprise n’est pas aisée, comme l’a expliqué M. Chiva.

« Comment faire en sorte d’aller plus vite? Les étapes de coulage constituent forcément des goulots d’étranglement. Les matériels sont très onéreux et constituent autant de points de passage complexes. Le doublement des chaînes d’assemblage et de montage nécessiterait plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement, mais à la charge de qui? La question n’est pas encore tranchée », a développé de le DGA. « Nous réfléchissons également à l’utilisation d’autres chaînes de production, à l’étranger, pour accélérer les cadences en France », a-t-il ajouté.

En outre, a-t-il rappelé, durant ces vingt dernières années, les « questions liées aux stocks et à la production n’étaient pas à l’ordre du jour de la politique industrielle » car « les stocks étaient synonymes de mauvaise gestion ». Et quant à la production, a poursuivi M. Chiva, « elle ne présentait pas autant d’intérêt que les enjeux de recherche et développement ». Or, a-t-il admis, « nous nous rendons compte aujourd’hui que la production a été délaissée ».

Ceux qui défendirent cette logique de « flux tendus » n’ont pas fini de manger leur chapeau… Car, après avoir été fermement écartée par la Direction générale de l’armement, parce que jugée non stratégique, l’idée de relocaliser une filière de munitions de petits calibres n’est visiblement plus un tabou. Pour rappel, elle avait cependant été avancée par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense en 2017, avant d’être abandonnée par la suite. Depuis, le sujet revient régulièrement dans le débat public, à la faveur de rapports parlementaires, notamment.

« Quid de la relocalisation de la filière de munitions de petits calibres? Pendant des années, la réponse a été négative puisqu’il était possible de recourir à des fournisseurs facilement accessibles. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, le ministère des Armées considère qu’il est temps au moins de se poser à nouveau la question », a en effet avancé M. Chiva devant les députés.

S’agissant des munitions de petit calibre, « les produire chez nous est très confortable à la condition de maîtriser les coûts, les produire entre alliés est une solution médiane acceptable, moyennant une certaine vigilance. Mais s’il faut aller les acheter à l’autre bout du monde, ce n’est probablement pas raisonnable : nous offrons à nos adversaires des vulnérabilités ce qui réduit notre capacité de dissuasion », avait par ailleurs estimé le général Thierry Burkhard, alors à la tête de l’armée de Terre avant de devenir chef d’état-major des armées [CEMA].

Une solution pourrait être trouvée avec la Belgique, qui a récemment fait part de son intention de lancer une production de munitions de petits calibres « intelligentes » en s’appuyant sur la FN Herstal. « Ce projet pourrait être soutenu par la France, les Pays-Bas et le Luxembourg, l’idée étant, à terme, d’avoir en commun, des armes et des munitions identiques, ce qui permettrait de sécuriser les stock », avait d’ailleurs soutenu le général belge Frédéric Goetynck, le chef de la Direction générale des ressources matérielles [DGMR].

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]