Des généraux américains disent avoir conseillé à M. Biden de maintenir des troupes en Afghanistan
Depuis quelques jours, le chef d’état-major interarmées américain, le général Mark Milley, est une centre d’une polémique provoquée par des affirmations de deux journalistes du Washington Post, à savoir de Bob Woodward et Robert Costa, sur ses relations avec l’ex-président Donald Trump. Selon eux, celui-ci aurait douté de « l’état mental » de l’ancien locataire de la Maison Blanche, au point de téléphoner, « en secret », à son homologue chinois, général Li Zuocheng, pour l’assurer que les États-Unis n’attaqueraient pas la Chine.
Lors d’une audition au Sénat, le 28 septembre, le général Milley a démenti les allégations des deux journalistes, tout en reconnaissant des contacts – non secrets – avec le général Li… en liaison avec Mark Esper et Christopher Miller, les deux derniers chefs du Pentagone sous l’ère Trump.
« Je suis certain que le président Trump n’avait pas l’intention d’attaquer les Chinois et c’était ma responsabilité directe, au nom du secrétaire [à la défense], de faire connaître les ordres et les intentions du président. […] Ma mission à ce moment-là était la désescalade […] Nous n’allons pas vous attaquer « , a-t-il affirmé.
Quoi qu’il en soit, et avant ce démenti, le successeur de M. Trump, Joe Biden, avait renouvelé sa « confiance totale » à l’égard du général Milley, alors accusé d’avoir outrepassé ses fonctions et affiché un parti pris politique, ce qui est évidemment incompatible avec le précepte selon lequel « les armes doivent céder à la toge » [« Cedant arma togae »].
Pour autant, cette polémique pourrait bien être chassée par une autre… Durant la même audition, à laquelle ont pris part le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, et le général Kenneth McKenzie, le chef de l’US CENTCOM, le commandement militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient, le général Milley a confirmé qu’il avait été recommandé au président Biden de maintenir une force résiduelle de 2’500 militaires en Afghanistan afin d’éviter un effondrement du pouvoir alors en place à Kaboul.
« J’ai recommandé [au président] que nous laissions 2’500 soldats en Afghanistan » après le 31 août [date du retrait américain, ndlr], a en effet témoigné le général McKenzie. Et le général Milley a dit qu’il avait été « d’accord » avec cet avis.
Seulement, lors d’un entretien diffusé par ABC News, en août, le président Biden avait affirmé qu’aucun de ses conseillers militaires ne lui avait suggéré de maintenir 2’500 soldats en Afghanistan. « Personne ne m’a dit ça à ma connaissance », avait-il assuré.
Par ailleurs, M. Biden et son prédécesseur ont également ignoré la recommandation – pourtant frappée au coin du bon sens – de ne pas fixer de date précise pour le retrait des forces américaines d’Afghanistan.
« Je recommande à tout dirigeant : ne fixez pas de date, […] posez des conditions », a confié le général Milley. Et… « deux présidents successifgs ont fixé une date », a-t-il déploré.
Pour rappel, l’accord de Doha, signé par le mouvement taleb et les États-Unis le 29 février 2020, prévoyait le retrait des forces américaines et celles de l’Otan avant le 1er mai 2021, en échange de l’ouverture de discussions directes avec le gouvernement de Kaboul et de garanties sécuritaires, à commencer par la rupture de tout lien avec al-Qaïda. On connaît la suite : même si les talibans n’ont pas tenu leurs engagements, M. Biden a repris les termes de cet accord à son compte, repoussant seulement au 31 août la date du retrait des troupes américaines.
Cela étant, le maintien de 2’500 soldats américains en Afghanistan aurait-il changé le cours des événements? En tout cas, le résultat est là : l’intervention militaire, lancée il y a vingt ans, s’est soldée par un « échec stratégique », a commenté le général Milley. « L’ennemi est au pouvoir à Kaboul. Il n’y a pas d’autre façon de décrire les choses », a-t-il ajouté.
Qui plus est, pour le général Milley, la reconstitution d’un foyer terroriste en Afghanistan est probable. Les talibans « étaient et restent organisation terroriste et ils n’ont toujours pas rompu leurs liens avec al-Qaïda », a-t-il rappelé. En outre, et après cet « échec stratégique », le général Milley a estimé que la « crédibilité » des États-Unis auprès de « leurs alliés et partenaires dans le monde » ainsi que de leurs « adversaires » allait être « réexaminée avec beaucoup d’attention ».
Cela étant, le chef du Pentagone n’est pas exactement de cet avis. « Endommagée est un mot qui peut être employé, oui » mais « je pense que notre crédibilité reste solide », a estimé Lloyd Austin, après avoir fait un mea culpa au sujet de l’Afghanistan.
« Nous avons bâti un État mais nous n’avons pas pu créer une nation », a en effet reconnu le chef du Pentagone. « Le fait que l’armée afghane, que nous avons formée avec nos partenaires, se soit effondrée – souvent sans tirer une balle – nous a tous pris par surprise », a-t-il continué.
Et d’ajouter : « Nous n’avons pas réalisé le niveau de corruption et l’incompétence de leurs officiers de haut rang, nous n’avons pas mesuré les dommages causés par les changements fréquents et inexpliqués décidés par le président Ashraf Ghani au sein du commandement, nous n’avons pas prévu l’effet boule de neige des accords passés par les talibans avec quatre commandants locaux après l’accord de Doha, ni le fait que l’accord de Doha avait démoralisé l’armée afghane ».
Pourtant, ces dernières années, ce ne sont pas les rapports critiques – notamment ceux de l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan – qui auront manqué pour dénoncer la corruption dans le pays et souligner la faiblesse des forces afghanes… Rapports qui, comme les recommandations des chefs militaires, ont visiblement été ignorés.