Il y a 100 ans, les premiers chars français venaient de connaître leur baptême du feu
Le 17 avril 1917, le général Jean Estienne, le patron de l’Artillerie Spéciale (AS) nouvellement créée, a de quoi être en proie au désarroi. La veille, les premiers chars d’assaut français – des Schneider CA1 – venaient de subir leur baptême du feu lors de l’offensive du Chemin des Dames.
Et, au soir de cette première journée de combats, le bilan était désastreux puisque, comme les « tank » Mark I britanniques quelques mois plus tôt, lors de la bataille de la Somme, les 128 Schneider CA1 engagés dans la bataille, à hauteur de Berry-au-Bac, venaient en effet de subir de lourdes pertes.
Le général Estienne s’était intéressé assez tôt à l’idée consistant à développer un engin qui serait blindé, armé et chenillé pour progresser sur des terrains difficiles. Chef de corps du 22e Régiment d’Artillerie (RA), il proposa au général Joffre, alors commandant en chef, un projet de « cuirassé terrestre » de 12 tonnes, capable de se déplacer à la vitesse de 9 km/h et armé de deux mitrailleuses ainsi que d’un canon de 37mm. En outre, cet engin devait être en mesure de tracter une remorque chenillée et blindée susceptible de transporter une vingtaine de fantassins.
Le projet fut alors adopté. Et le général Estienne, qui était encore colonel à l’époque, rencontra Eugène Brillé, l’ingénieur en chef de la société Schneider qui travaillait déjà à la réalisation d’un véhicule de combat à chenilles. En janvier 1916, le dossier étant bouclé, il obtint le feu vert du général Joffre, lequel demanda au secrétaire d’État à la guerre de commander 400 « cuirassés terrestres ».
Seulement, Jean Estienne se heurta à la Direction des services automobiles, laquelle n’avait guère apprécié de voir un officier imposer un projet sans être passé par la voie hiérarchique (*). Et comme elle ne put s’opposer frontalement à un ordre du commandant en chef, elle multiplia les embûches, en demandant sans cesse de nouvelles modifications à ce « cuirassé terrestre ». Dans le même temps, elle lança un projet concurrent, qui allait donner, plus tard, le char Saint-Chamond, commandé à 400 exemplaires.
Quant à Jean Estienne, il dut renoncer à la remorque blindée que devait tracter son cuirassé blindé. Et les modifications imposées aboutirent à la mise au point du Schneider CA1, un char de 13,6 tonnes, armé d’un canon de 75 mm Blockhaus Schneider et deux mitrailleuses Hotchkiss de 8 mm. Doté d’un moteur de 60 CV, il pouvait rouler à 7 km/h maximum et emporter une équipafe de 6 à 7 hommes.
Peu avant le déclenchement de l’offensive du Chemin des Dames, le général Estienne, nouveau commandant de l’Artillerie Spéciale, n’était pas très chaud à l’idée d’engager ses chars, dans la mesure où leur emploi faisait alors l’objet d’une divergence de vues avec le général Robert Nivelle, devenu commandant en chef en décembre 1916.
Pour le premier, rappellent François Cochet et Rémy Porte (**), le char est « un moyen décisif de percée du dispositif ennemi » alors que pour le second, il « n’est qu’un support-feu pour l’infanterie ». D’où la raison du désastre subi par les Schneider CA1 le 16 avril 1917…
Victimes de pannes, répérés par des observateurs allemands qui les signalaient à leur artillerie et ayant des difficultés à manoeuvrer, les Schneider CA1, répartis en deux groupements (Chaubès et Bossut) ne purent remplir la mission que le commandement attendait d’eux. En outre, il fut mis en évidence que leur protection, notamment au niveau de leur réservoir d’essence, était insuffisante.
Cette déconvenue aurait pu marquer la fin du char de combat… Mais il n’en fut rien. Le 5 mai 1917, 32 Schneider CA1 et 16 nouveaux chars Saint-Chamond (22 tonnes) permirent à la 3e Division d’Infanterie de reprendre la possession du plateau de Laffaux, au prix de 12 engins perdus.
Un temps menacée, l’Artillerie spéciale fut maintenue. Une décision heureuse (et rendue possible par le départ du général Nivelle) car, alors que les Allemands, forts de leur succès remportés face aux chars alliés, prendront du retard dans ce domaine, les Français apprendront de leurs déconvenues passées… Ce qui donnera naissance au très efficace char FT-17 de Renault, lequel fera son apparition sur le champ de bataille en mai 1918.
(*) Voir Histoire des blindés français, Stéphane Ferrard – Argos – 15 euros
(**) Histoire de l’armée française, 1914-1918 : Evolutions et adaptations des hommes, des matériels et des doctrines – 25,90 euros
Photo : Le commandant Bossut, chef de groupe d’artillerie d’assaut, devant son char Schneider CA-1