Opération Sentinelle : Pour le général Bosser, il serait « paradoxal » que les soldats soient « mieux installés à Gao qu’à Paris »

Quand l’opération Sentinelle a été lancée, en janvier, l’armée de Terre a réussi un tour de force en déployant en 48 heures, sur le territoire national, 170 unités « Proterre », soit 5 fois plus par rapport à ce qui était prévu dans son contrat opérationnel.

« Le 11 janvier, nous avons en effet mis en place, sur le terrain, un dispositif très exigeant pour nos hommes, parfois présents 24 heures sur 24, sept jours sur sept, dans des conditions météorologiques assez rudes. Nous avons employé les forces armées comme des forces de sécurité intérieure, sur un mode de garde statique. Tout le monde l’a compris, dans le contexte de l’époque; personne n’a discuté cette situation », a rappelé le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT)

Seulement, cette opération Sentinelle s’est inscrite dans la durée et devrait se poursuivre encore jusqu’à l’été prochain. Dans le même temps, l’armée de Terre doit également assurer ses missions extérieures. Et, au niveau des effectifs, ça coince. Ainsi, selon le CEMAT, il fallu, pour suivre ce rythme opérationnel , diminuer la préparation opérationnelle, réduire les exercices internationaux et annuler des permissions (sur ce point, cela a été fait en février, comme cela le sera aussi pour les vacances de Pâques).

« Nous devons être vigilants à ne pas éroder à l’excès le capital opérationnel. Le prolongement de l’opération Sentinelle sans renfort d’effectifs constitue, à ce titre, un risque réel et un défi immense », a confié le CEMAT, au cours d’une audition au Sénat.

« Mes hommes font Sentinelle, un peu d’instruction individuelle et collective, mais ne font plus de préparation opérationnelle au sens où on l’entend, c’est-à-dire dans le cadre d’opérations de haut niveau », a continé le général Bosser. « Nous sommes une armée professionnelle. Nos militaires qui ont fait Sangaris et Serval durant les trois dernières années ne vont pas devenir brutalement mauvais, mais leur durée de présence dans l’institution est comprise entre cinq et huit ans en moyenne. Si l’on ne fait rien, dans cinq ans, nous n’aurons plus l’armée Serval, mais l’armée Sentinelle. Il faut en être conscient : c’est un vrai choix de fond », a-t-il ajouté.

D’où la nécessité pour la force opérationnelle de l’armée de Terre de disposer de 11.000 hommes supplémentaires. « Compte tenu des effectifs actuels, tenir les contrats opérationnels (…) imprime un taux de rotation des unités trop important pour pouvoir s’entraîner et se remettre en condition de façon acceptable », a fait valoir le CEMAT, qui a précisé qu’entre janvier et juin 2015, « 40 000 soldats auront été engagés dans l’opération Sentinelle auxquels il faut ajouter ceux qui se trouvent déployés hors de métropole ».

« À cette cadence, et sans renforcement des effectifs, nos unités finiront par alterner les opérations extérieures et les opérations intérieures avec trop peu de temps entre les deux pour pouvoir se régénérer. En matière d’efficacité opérationnelle, ce rythme a un coût qu’il est possible d’absorber temporairement, grâce à la maturité de l’armée de terre et à l’expérience de ses soldats. Mais il n’est pas réaliste dans le long terme sans risquer de voir nos effectifs fondre rapidement »,  a commenté le général Bosser.

Par ailleurs, le CEMAT a évoqué de possibles évolutions de l’opération Sentinelle si jamais cette dernière venait à durer encore plus longtemps. Si tel est le cas, elle ne pourra pas continuer « sous la forme d’un plan Vigipirate renforcé » car, a-t-il plaidé, « 7.000 hommes déployés dans la durée nécessitent d’adopter un autre mode de fonctionnement et de soutien, avec des installations dignes de nos soldats ».

En premier lieu, le garde statique de points sensibles, si elle est dissuasive, « perd de son efficacité avec le temps et réduit l’adhésion à la mission ». Aussi, l’accent doit être mise sur une plus grande mobilité afin de « mieux rentabiliser les atouts spécifiques des forces terrestres ». Pour le général Bosser, une réflexion doit être menée à ce sujet car il est « essentiel de dépasser des procédés qui pourraient s’avérer comme une nouvelle ‘ligne Maginot’ et de proposer une ‘offre de service’ intelligente, conforme à la spécificité d’une force militaire.

Enfin, un autre élément important est l’hébergement des militaires engagés dans l’opération Sentinelle. Si, au tout début, ils ont dû composer avec des conditions de vie spartiates, il serait temps d’améliorer leur confort. « À partir du moment où l’urgence fait place à la permanence, ils méritent des conditions décentes pour se reposer, s’alimenter et se détendre », a estimé le général Bosser.  » Probablement faudra-t-il recréer des bases autour de Paris. Les sites existent : Satory, Vincennes, etc. Ces bases doivent pouvoir regrouper 1.000 hommes, afin qu’ils puissent mener une vie normale durant quatre à six semaines. Il serait paradoxal qu’ils soient mieux installés à Gao qu’à Paris! », a-t-il conclu.

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