Le délégué général pour l’armement donne quelques précisions sur les « sociétés de projet »
Pour 2015, il est acquis que les recettes exceptionnelles (REX) telles que prévues par la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 ne seront pas au rendez-vous dans les délais attendus. Il était en effet question de reverser au budget du ministère de la Défense le produit de la vente de fréquences 700 MHZ. Or, pour des raisons de calendrier, cela ne sera pas possible.
Se pose en plus le problème de l’exportation du Rafale… La LPM a prévu la livraison de 26 exemplaires sur 5 ans alors que Dassault doit en produire 11 par an pour maintenir ses lignes d’assemblage. La solution passe par l’exportation… Et, pour le moment, aucun contrat n’a été signé, même si les discussions sont très avancées avec l’Inde pour une commande 126 avions. Mais le marché indien ne suffira pas, dans le mesure où seulement 18 appareils seront produits en France. Il faudrait en exporter au moins 40, comme l’a rappelé Laurent Collet-Billon, le Délégué général pour l’armement, lors de son passage devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale.
Pour remédier au problème des ressources exceptionnelles, d’autant plus cruciales en 2015 que ce sera une année charnière pour la LPM, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a évoqué un « financement innovant » avec la création de « sociétés de projet ». Le moins que l’on puisse dire est que cette initiative suscite une certaine réserve d’autant plus que ses modalités restent floues. Et les explications données par le DGA au cours de son audition ne les aura sans doute pas balayées…
De quoi s’agit-il? L’idée est de créer une société financée par l’État, qui céderait des participations qu’il détient au capital de certaines entreprises, et des investisseurs « privés » afin de racheter aux armées des équipements pour ensuite les leur louer instantanément. En clair, le ministère de la Défense ne sera plus propriétaire des matériels mais il aura perçu la recette de leur vente.
« Ce mécanisme n’est peut-être pas des plus simples, mais il existe ailleurs qu’en France et est utilisé par les compagnies aériennes et la SNCF. (…) Il a l’avantage d’alléger le bilan des sociétés privées. Ici, la situation est un peu différente, car, contrairement à l’État, la DGA n’a pas de bilan en propre », a expliqué M. Collet-Billon.
Concrètement, comment cette « société de projet » va-t-elle fonctionner?
Pour illustrer son propos, le DGA a pris l’exemple de l’A400M « Atlas ». Un appareil de ce type livré en 2014 sera ainsi revendu à la société de projet, « pour un montant dont l’ordre de grandeur est d’environ 150 millions d’euros TTC ». Cette dernière va donc verser cette somme au ministère de la Défense immédiatement.
« Après quoi nous payons, pendant une durée convenue d’avance, une somme égale au loyer annuel que multiplient le nombre d’années de la période et un coefficient incluant le taux de rémunération de l’argent ainsi que l’amortissement du matériel », a fait valoir M. Collet-Billon.
Quels seront les équipements concernés?
Tous les matériels ne pourront pas faire l’objet d’une telle opération. Seront concernés ceux « nécessaires à nos forces armées, sans impliquer systématiquement une action militaire létale », d’après le DGA. Ce qui exclut, bien évidemment les munitions mais aussi « certains matériels terrestres utilisés en OPEX ».
Pourquoi? Tout simplement à cause du risque d’attrition, dont les taux « varient considérablement avec l’intensité des engagements, ce que n’apprécient guère ceux qui louent du matériel et qui veulent que les taux d’assurance soient faciles à calculer », a-t-il affirmé.
Du coup, les équipements « éligibles » concerneront surtout l’aéronautique. Au sein des armées, le « taux d’accidents est extrêmement faible, certainement inférieur à celui des compagnies aériennes en moyenne mondiale. L’armée française est donc un très bon client pour les assureurs », a avancé M. Collet-Billon. Aussi, « ce sont d’abord les matériels aériens à vocation logistique que l’on songe à intégrer au dispositif : A400M, peut-être MRTT, CASA CN-235 », a-t-il détaillé. « On pourrait également envisager des hélicoptères de surveillance maritime, donc sans vocation militaire de premier rang », a-t-il ajouté.
Une société de projet avec quels capitaux?
Comme M. Le Drian l’a déjà indiqué, cette société sera financée grâce à la cession de participations que l’État détient dans certains entreprises (en gros, il s’agit de vendre « les bijoux de famille »… Et quand on en vient là, c’est que la situation financière n’est pas très bonne). La question se pose surtout sur les investisseurs privés. Pourront-ils être étrangers? « Je n’exclus pas non plus que les sociétés de projet puissent intéresser des partenaires étrangers, à différents égards », a dit M. Collet-Billon.
« Quant aux investisseurs privés, soit ils produisent eux-mêmes du matériel, soit ils ne sont que des opérateurs sur le marché – sachant qu’il y a aujourd’hui sur la place de Paris beaucoup de fonds disponibles, à des taux d’intérêt très faibles » et ils « peuvent être sensibles à la signature de l’État, qui s’engage à louer les matériels et à payer les loyers », a affirmé le DGA.
Mais, a-t-il aussi ajouté, les industriels de l’armement auraient intérêt à participer à ce montage. « Cette activité peut en tout cas leur permettre de maintenir leur flux de commandes et de livraisons, ce qui est sécurisant. À mon sens, ces entreprises devraient donc accompagner le mouvement et faire en sorte de pouvoir utiliser les SPV [ndlr, Special Purpose Vehicle] si les ventes de fréquences ne sont pas au rendez-vous », a estimé M. Collet-Billon.
Cependant, tout n’est pas encore arrêté. Loin de là. Ainsi, quelle sera la répartition des capitaux? Les investisseurs privés seront-ils majoritaires? Comment sera organisée cette « société de projets »? « Ces questions restent à trancher, à la lumière de différents critères liés à la dette publique, à la consolidation, au déficit global », a dit le DGA. Et l’on pourrait ajouter les garanties juridiques.
Qui s’occupera de la maintenance des matériels concernés?
Le propriétaire n’aura pas à s’occuper du maintien en condition opérationnelle (MCO), si l’on a bien compris les propos du DGA. « La charge de la maintenance est elle aussi à l’étude. Je ne vois pas comment une société qui ne serait pas impliquée d’une manière ou d’une autre dans la fabrication des équipements pourrait en assurer la maintenance », a-t-il répondu aux députés. « Nous devrons trouver un dispositif permettant d’articuler les différentes composantes de l’armée – par exemple, pour les matériels aériens, celles de l’armée de l’air : équipes sur le terrain, service industriel de l’aéronautique (SIAé) – et les compétences de ces divers opérateurs. Nous verrons cela au cas par cas », a-t-il poursuivi.
Existe-t-il une autre alternative en cas de défaut des recettes exceptionnelles?
Rapporteurs spéciaux du budget de la défense au sein de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, les députés François Cornut-Gentille (UMP) et Jean Launay (PS) ont co-signé une tribune dans le Figaro pour proposer une autre solution pour remédier au retard de la vente des fréquences 700 MHZ.
« Les modalités de constitution, de dotation en capital et de gouvernance de cette société [de projet], ainsi que la nécessité de ne pas affaiblir la capacité de l’Etat à influer des décisions industrielles stratégiques, sont autant de difficultés sur lesquelles nous n’avons, à ce jour, aucune visibilité. Or, tout décalage dans la perception de ces recettes risque de compromettre le fragile équilibre dessiné par la LPM », ont-ils ainsi écrit.
Que faire alors? « Nous souhaitons également que l’exceptionnel, en matière de moyens alloués à la défense nationale, ne remplace pas les crédits ordinaires (…). À cet égard, puisque le produit de la vente des fréquences hertziennes sera bien effectif à un moment donné, pourquoi ne pas l’affecter directement au désendettement ou au budget de l’Etat et ouvrir, en attendant cette échéance, les crédits budgétaires correspondant pour le ministère de la Défense? L’article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) autorise cette solution si une disposition expresse d’une loi de finances le prévoit. Une telle solution, qui assurerait les armées de percevoir les moyens qui leur ont été promis, aurait un impact neutre à long terme sur le déficit public », ont plaidé les deux députés. Une solution trop simple?