Armée de l’Air : Le choix du drone Heron TP contesté au Sénat

Afin de remplacer les drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) Harfang actuellement en service dans l’armée de l’Air, il était fortement question d’acquérir des MQ-9 Reaper, conçus par la société américaine General Atomics. Mais finalement, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a annoncé, le 20 juillet dernier, avoir retenu le Heron TP du constructeur israélien IAI, lequel sera « francisé » par Dassault Aviation.

Dans cette affaire, deux conceptions s’opposent. La première met avant tout l’accent sur la nécessité d’aquérir et de maintenir un savoir-faire au niveau français, voire européen, en matière de développement de drones, d’autant plus que l’avenir fera la part belle à ces équipements, dont le marché est actuellement dominé par les Etats-Unis et Israël.

D’où le choix de l’offre présentée par Dassault Aviation, sur la base du Heron TP d’IAI. Il s’agit ainsi de permettre au constructeur français de préparer la suite, avec la mise au point du drone Telemos, en collaboration avec le britannique BAE Systems, tout en évitant une rupture capacitaire.

La seconde conception se veut plus pragmatique. Selon cette dernière, l’achat « sur étagère » du MQ-9 Reaper aurait été le moyen d’équiper l’armée de l’Air avec un matériel éprouvé (les jihadistes de tout poil en savent quelque chose) et correspondant à la nécessité pour les aviateurs de disposer enfin d’un drone armé. De plus, des synergies auraient été possibles à l’échelle européenne, étant donné que les Britanniques et les Italiens en sont dotés.

Pour le chef d’état-major de l’armée de l’Air (CEMAA), le général Palomeros, il s’agit d’éviter avant tout une rupture capacitaire. Quant aux choix qui a été fait, il a indiqué, lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat, qu’il faudra « avoir un oeil attentif sur la liaison satellitaire qui occupe une place structurante sur ce type de système » et que « l’on soit capable d’armer ces drones ». « Pourquoi nous en priverions nous puisque ces appareils assurent une précision de frappe avec un pourcentage de succès identique à celui d’un avion de combat? » a-t-il demandé, le 18 octobre dernier. Or, sur ce dernier point, le mystère demeure…

Cela étant, le choix du Heron TP est loin de faire l’unanimité sur les bancs du Sénat. Ainsi, pour le sénateur socialiste Daniel Reiner, cette décision est un non-sens. « C’est une offre qui, d’après les renseignements qui nous avaient été communiqués, est financièrement trois fois plus chère, militairement inutile puisqu’elle ne permettra pas de disposer d’un drone à court terme et industriellement inopérante, puisqu’elle ne se traduira pas par des transferts technologiques au profit de Dassault. Tout cela ne prépare pas le drone franco-britannique dans des conditions optimales » a-t-il déclaré lors de l’audition de Laurent Collet-Billon, le délégué général à l’armement (DGA), le 18 octobre.

La même question a été évoquée une semaine plus tôt, lors de la venue du ministre de la Défense au Palais du Luxembourg. Là, c’est le sénateur UMP Jacques Gautier qui a allumé la mèche, en s’étonnant que « cette décision qui ne privilégie que marginalement un industriel français ne s’inscrive pas dans le cadre d’un appel d’offres » et qu’aucune « letter of request » n’ait été adressée à General Atomics, suivi par par Daniel Reiner, pour qui le choix du Heron TP sera financièrement « une catastrophe »

« Le coût de votre choix sera significativement supérieur avec le même nombre de produits (avions, stations au sol), à celle des appareils de General Atomics. Payer plus sans franciser quoi que ce soit, c’est-à-dire uniquement avec du matériel israélien, alors qu’on aurait pu avoir l’équivalent qui fonctionne déjà par ailleurs, et qu’utilisent la plupart de nos alliés, ce n’est pas un choix raisonnable du point de vue économique » a-t-il affirmé devant Gérard Longuet, après avoir également souligné que la décision prise en juillet en faveur du Heron TP ne « répond pas à l’urgence » opérationnelle de l’armée de l’Air. « Et quand on parle d’urgence ça veut dire tout de suite, pas dans trois ans » a-t-il lancé.

Le ministre de la Défense a donc été obligé de justifier son choix. « A propos des drones, j’ai effectivement fait jouer la préférence nationale et je n’en ai pas honte » a-t-il lancé. « Dassault ayant su renouer une coopération avec son partenaire israélien autour de ce projet, il était important pour moi que notre industrie demeure présente dans cette filière quand bien même cette solution devrait être plus coûteuse que si nous avions eu recours au Reaper proposé par General Atomics, son concurrent américain » a-t-il poursuivi.

« Nous sommes parfois partagés entre une logique d’utilisateur, d’abord soucieux du coût et de la disponibilité des matériels, et une logique plus industrielle, sensible à la nécessité de conserver une industrie de défense nationale. En l’occurrence, j’ai fait primer la seconde. C’est un choix politique que j’assume complètement. Je suis libéral mais nous sommes là dans un domaine où, lorsque l’on perd la main, on ne la reprend plus. Ceci étant, la DGA est mobilisée pour suivre de très près le volet financier de ce projet afin de bien s’assurer que la défense de notre présence dans la filière ne signifie nullement que le contribuable français soit, sur cette affaire, excessivement mis à contribution » a encore expliqué Gérard Longuet.

Et de préciser que « le Heron TP devrait être livré en 2014, soit moins d’un an après la date de disponibilité des Reaper de General Atomics » et que son prix « n’est pas le triple de celui du Reaper, son coût total de possession jusqu’en 2020 est supérieur d’un peu moins de 40 % tout en permettant de financer la construction d’une filière française de fabrication des drones ».

Enfin, le ministre a indiqué s’être appuyé sur une « étude minutieuse » de la DGA pour éclairer son choix. Seulement, malgré les demandes des sénateurs pour que ce document leur soit communiqué, tous ceux avec qui ils l’ont évoqué ont botté en touche. C’est à se demander s’il existe vraiment…

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