La situation abracadabrantesque du brigadier Guissé

On peut avoir été au  service des armes de la France pendant plusieurs années et se voir contester la nationalité française. C’est ce qu’est en train de vivre le brigadier Ounoussou Guissé, du 1er Régiment de Hussards parachutistes, ainsi que son frère, Amara, un ancien militaire du 12e Régiment d’Artillerie d’Oberhoffen.

L’histoire commence en1960, au moment de l’indépendance du Sénégal. Le père d’Ounoussou Guissé a alors la possibilité de choisir la nationalité française. Ce qu’il fait puisqu’il vit et travaille alors en France, précisément au Havre.

Une quinzaine d’années plus tard, il décide de rentrer au Sénégal et fonde une famille. Ses deux fils, Ounoussou et Amara, nés d’un père français, obtiennent tout naturellement la nationalité française en vertu du « droit du sang ». C’est ce qui explique pourquoi les deux frères n’ont pas eu de problème pour s’engager dans l’armée de Terre après leur arrivée en France.

Sauf que, entre-temps, la Cour de cassation a réinterprété la loi en vertu de laquelle le père des deux militaires est devenu français. Désormais, seules sont considérées comme valables les nationalités acquises par ceux qui avaient leur famille en France au moment de l’indépendance de leur pays d’origine. Du coup, depuis 2006, le brigadier Guissé, qui a servi notamment au Tchad et en Afghanistan et qui devrait passer prochainement brigadier-chef, se voit contester le fait d’être français par la justice. Tout comme son frère, qui a reçu, en mars 2007, un courrier du tribunal de grande instance de Strasbourg pour lui notifier sa situation.

En 2008, Ounoussou Guissé obtient pourtant gain de cause, ce que conteste le parquet, qui a fait appel de la décision du tribunal. « Ce sont des procédures qui relèvent plus de Kafka que d’une République qui cherche à réconcilier les hommes » a commenté, le 13 octobre, le ministre de la Défense, Hervé Morin, qui a reçu les deux frères. Ces derniers peuvent d’ailleurs compter sur le soutien de l’armée de Terre.

Pour tenter de dénouer ce sac de noeuds, Hervé Morin a évoqué cette situation avec Michèle Alliot-Marie, le garde des Sceaux, et lui a fait part de son « étonnement » tout en espérant que des mesures soient prises « pour que de telles situations, complétement incongrues et saugrenues, ne se reproduisent pas ».

Mais pour l’instant, le sort du brigadier Guissé est suspendu à la décision que doit rendre, le 18 novembre prochain, la cour d’appel de Rouen, devant laquelle il a comparu en uniforme et médailles pendantes, le 6 octobre dernier.

« Dans l’hypothèse où la justice viendrait à refuser la nationalité française à nos deux soldats, une nouvelle procédure serait engagée et leur permettrait probablement de voir leurs droits reconnus très rapidement » veut croire le ministre de la Défense.

A l’Assemblée nationale, le secrétaire d’Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, a quant à lui évoqué la « possibilité » pour le militaire de « déposer une demande de naturalisation auprès de l’autorité militaire » dans le cas où la décision de la cour d’appel de Rouen lui serait défavorable. De son côté, le ministre de l’Immigration, Eric Besson, a fait savoir qu’il avait « demandé à ses services de procéder à un examen attentif et bienveillant » en cas d’une demande de naturalisation des deux frères.

Cette procédure ne devrait cependant pas poser de problème si il fallait en arriver là. En effet, selon le ministre, les frères Guissou peuvent faire valoir « la possession d’état de français depuis plus de dix ans », leurs « services accomplis dans l’armée française » ou encore « attester de services exceptionnels rendus à la France ».

Cela étant, la France est moins regardante quand il s’agit de donner la nationalité française opportunément à des sportifs avant des compétitions mondiales, histoire d’étoffer un peu le palmarès. Le tort des frères Guissé est sans doute d’avoir gagné leurs médailles sur des théâtres d’opérations extérieurs et non sur un stade.

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