L’Allemagne a l’ambition de se doter de la plus « grande armée conventionnelle » d’Europe

En octobre 2013, et alors que la Loi de programmation militaire [LPM] 2014-19 allait être examinée par le Parlement, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, avait assuré que « l’armée française serait la première en Europe » d’ici la fin de la décennie, malgré la réduction envisagée des effectifs [-34’000 postes] et un budget « sanctuarisé » à environ 31 milliards d’euros durant les deux premières annuités.

« En 2019, nous aurons 187’000 militaires alors que la Grande-Bretagne n’en aura que 145’000 et l’armée allemande moins aussi. Ces militaires seront équipés et entraînés pour faire face aux enjeux de demain », avait ainsi soutenu M. Le Drian dans les colonnes du Figaro [et sur les ondes de RTL].

Seulement, l’annexion de la Crimée par la Russie, l’émergence de l’État islamique au Levant, la poursuite des opérations au Sahel et, surtout, les attentats de 2015, eurent raison des intentions affichées initialement dans la LPM 2014-19, celle-ci ayant été « actualisée » afin d’augmenter les effectifs des forces armées [et en particulier ceux de la Force opérationnelle terrestre – FOT] ainsi que le budget du ministère de la Défense.

Dans le même temps, Berlin fit part de son intention d’augmenter significativement ses dépenses militaires en les portant à 37 milliards d’euros en 2017 [contre 32,69 milliards en France, pour la même année]. Soit l’équivalent de 1,22% de son PIB, un niveau alors encore très éloigné de la norme des 2% du PIB fixée par l’Otan]. Mais il était question d’aller encore plus loin pour la période 2017-20, avec un effort de 10 milliards d’euros supplémentaires.

Puis, après les élections fédérales de 2017, la coalition dirigée par Angela Merkel et formée par les chrétiens-démocrates de la CDU/SCU et les sociaux-démocrates du SPD décida d’amplifier cet effort. Telle fut, en tout cas, l’ambition d’Annegret Kramp-Karrenbauer, alors ministre de la Défense, qui souhaitait un budget de 61,5 milliards en 2025… Ambition contrariée par Olaf Scholz, qui était son collègue des Finances. Finalement, la trajectoire financière retenue prévoyait de doter la Bundeswehr d’une enveloppe de 45,6 milliards d’euros à cette échéance.

Évidemment, sans force de dissuasion nucléaire à entretenir [hormis les coûts liés à sa participation au partage nucléaire de l’Otan], l’Allemagne avait dès lors les cartes en mains pour se doter de la plus grande armée conventionnelle d’Europe, à condition, toutefois, de rémedier aux carences de la Bundeswehr, identifiées de longue date. Cependant, la France n’avait alors pas dit son dernier mot étant que ses dépenses militaires devaient être portées à 44 milliards d’euros en 2023. De même que le Royaume-Uni…

Mais tous ces calculs auront été balayés par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Peu après le début des hostilités, Olaf Scholz, devenu chancelier à la faveur des élections de 2021, a en effet annoncé la création d’un « fonds spécial » de 100 milliards d’euros au profit de la Bundeswehr. À vrai dire, au regard de la couleur des partis formant la coalition actuellement au pouvoir à Berlin [SPD, Verts et libéraux du FDP], une telle annonce aurait été inimaginable quelques semaines plus tôt.

Toujours est-il que M. Scholz a annoncé la couleur à la fin du G7, peu avant de s’envoler vers Madrid afin de participer au sommet de l’Otan. L’Allemagne est en train de créer « la plus grande armée conventionnelle dans le cadre de l’Otan en Europe », a-t-il en effet affirmé, le 27 juin.

Rappelant que la guerre en Ukraine a confirmé la nécessité de « dépenser plus d’argent dans la défense », M. Scholz a assuré que Berlin investira, en moyenne, « environ 70 à 80 millards d’euros par an » dans ses capacités militaires « au cours des prochaines années ». Et d’insister : « L’Allemagne est le pays qui investit le plus dans ce domaine. »

Une telle évolution ne manquera pas d’avoir des implications diplomatiques et politiques au sein de l’Otan et de l’Union européenne [UE, que le chancelier Scholz n’a pas évoquée], dans la mesure, jusqu’à présent, la France misait sur sa supériorité militaire pour assoir son statut de puissance de premier rang. Pour le moment, le président Macron a dit vouloir un « investissement clair et fort » pour « consolider le modèle [français] d’armée complet ».

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