L’Ukraine envisagerait de redevenir une puissance nucléaire en cas d’un refus de son adhésion à l’Otan

Selon Moscou, deux armées et trois unités de troupes aéroportées ont été transférées, en trois semaines, aux abords de l’Ukraine, venant ainsi s’ajouter aux troupes déjà présentes en Crimée. Et cela, a indiqué Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, pour participer à des « exercices ». Mais pas seulement car il a précisé qu’il s’agissait aussi de « réagir aux activités militaires menaçantes de l’Otan. » D’où la nécessité de « prendre des mesures appropriées », a-t-il dit. Et d’autres ont été annoncées, ce 16 avril.

Ainsi, Moscou a annoncé sa décision de suspendre pendant six mois la navigation de navires militaires au large de la Crimée [et donc en mer Noire; où la marine russe vient de lancer des manoeuvres devant durer deux semaines, ndlr]. « Du 24 avril à 21H00 (18H00 GMT) jusqu’au 31 octobre 21H00, le passage à travers les eaux territoriales de la fédération de Russie pour les navires militaires et autres bâtiments étatiques sera suspendu », a ainsi fait savoir la direction de la navigation du ministère russe de la Défense.

Les trois zones concernées par cette mesure sont la pointe occidentale de la Crimée, le sud de Sébastopol et un secteur situé près du détroit de Kertch, qui, reliant la mer Noire à celle d’Azov, est d’une importance capitale pour les exportations ukrainiennes de céréales et d’acier. Un haut responsable de l’UE a dénoncé cette décision, prise « sous prétexte d’exercices militaires. C’est « une évolution hautement préoccupante » et un « geste supplémentaire du gouvernement de la Russie qui va dans la mauvaise direction, dans le mesure où cela augmente les tensions », a-t-il estimé auprès de l’AFP.

Quoi qu’il en soit, ce renforcement des troupes russes près de l’Ukraine a débuté après que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a signé un décret concernant les territoires passés sous le contrôle ou l’influence russe.

Quoi qu’il en soit, l’Otan estime que le volume des forces ainsi déplacées vers la frontière occidentale de la Russie à environ 40.000 hommes. Soit un mouvement de troupes aussi important que celui observé en 2014, c’est au dire au début des hostilités entre les séparatistes pro-russes du Donbass et les forces ukrainiennes. Hostilités qui, après une accalmie en 2020, ont repris de la vigueur ces dernières semaines.

Pour autant, le commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR], le général Tod Wolters, a évalué le risque d’une éventuelle invasion de l’Ukraine par la Russie de « faible à moyen » pour les prochaines semaines. C’est en effet ce qu’il a affirmé lors d’une audition au Congrès, le 15 avril. Et d’expliquer que son analyse se fondait « en partie » sur les positions occupées par les forces russes.

Cependant, les autorités ukrainiennes sont beaucoup plus alarmistes. À l’image d’Andrij Melnyk, l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne. Citant des chiffres du renseignement ukrainien lors d’un entretien accordé à la radio allemande Deutschlandfunk, il a affirmé que la Russie avait déployé 90.000 soldats dans les environs de son pays. « On suppose que ce nombre passer à 110.000 : c’est la moitié de toute notre armée », a-t-il dit.

« Nous sommes coincés dans une situation difficile et extrêmement dangereuse. Le Kremlin cherche à anéantir l’Ukraine en tant qu’État et peuple. Il va simplement nous effacer de la carte ces prochains jours », a continué le diplomate, avant de plaider en faveur d’un soutien accru des Occidentaux aux forces ukrainiennes.

« Nous n’avons pas seulement besoin des expressions de solidarité que nous avons reçues. […] Mais avec tout le respect que je vous dois, ces déclarations ne nous aideront pas beaucoup », a lancé M. Melnyk, estimant que les armes notamment livrées par les États-Unis à Kiev [missiles Javelin, par exemple] n’étaient que « des cacahuètes par rapport à ce dont les forces ukraniennes ont réellement besoin ».

« Nous devons moderniser l’armée ukrainienne. Nous avons besoin de systèmes d’armes à la pointe de la technologie pour renforcer nos défenses », a fait valoir l’ambassadeur. Mais surtout, ce qui compte le plus pour Kiev, c’est l’adhésion à l’Otan, laquelle lui avait déjà été refusée en 2008.

« Notre pays a fait beaucoup de sacrifices en termes de vies humaines. Nous ne pouvons pas rester indéfiniment dans la salle d’attente de l’UE et de l’Otan. L’Ukraine mérite depuis longtemps d’en sortir. Le moment est venu de passer la vitesse supérieure, de nous inviter à rejoindre l’UE et l’Otan, car nous ne voulons pas avoir à mendier. Non seulement ce serait juste, mais c’est aussi ce que les citoyens d’Ukraine réclament », a d’ailleurs dit, à ce propos, le président Zelensky, dans un entretien publié par Le Figaro.

Pour l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, cette adhésion à l’Otan est cruciale. Faute de quoi, Kiev pourrait alors se tourner vers une autre solution.

« Soit nous faisons partie d’une alliance comme l’Otan et nous contribuons également à rendre cette Europe plus forte, que cette Europe devienne plus sûre d’elle-même, soit nous n’avons qu’une seule option, celle de nous armer et, peut-être, envisager un statut nucléaire. Sinon, comment pourrions-nous assurer notre défense? », a ainsi lâché le diplomate.

L’Ukraine a autrefois été une puissance nucléaire… Et même la troisième du monde, grâce à l’arsenal laissé par l’Armée rouge sur son territoire après l’effondrement de l’Union soviétique [il était question de 1.700 ogives à l’époque…]. Et, dès son indépendance, Kiev revendiqua la propriété de ces armes, allant jusqu’à refuser le protocole de Lisbonne [23 mai 1992] qui, signé par les États-Unis et quatre anciennes républiques soviétiques, reconnaissait la Russie comme unique héritière de l’arsenal de l’URSS.

Mais il s’agissait très probablement de faire monter les enchères dans le cadre des discussions ayant débouché sur le mémorandum de Budapest, signé en 1994. En acceptant de se défaire de l’arsenal soviétique et de rejoindre le Traité de non-prolifération [TNP], l’Ukraine obtint de la Russie [mais aussi des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France] des garanties sur sa sécurité, son indépendance et son intégrité territoriale. Ce qui n’empêcha pas l’annexion de la Crimée et la sécession d’une partie du Donbass.

Cela étant, le propos du diplomate ukrainien relève de la galéjade. L’Ukraine n’a ni les moyens, ni les compétences pour se doter de l’arme nucléaire [et quand bien même elle les aurait, il lui manquerait du temps pour la développer]. En outre, cela supposerait que Kiev se retire du TNP, avec les conséquences diplomatiques qui en découleraient. Et la Russie ne manquerait pas d’y voir une menace à sa sécurité.

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