SCAF : Le Pdg de Dassault Aviation rappelle que la France peut faire un avion de combat seule et évoque un « plan B »

La crise provoquée par la pandémie de covid-19 n’a pas épargné Dassault Aviation, d’autant plus qu’elle est particulièrement sévère pour le transport aérien. Ainsi, en 2020, le constructeur a vu son chiffre d’affaire reculer de 25%, pour s’établir 5,5 milliards d’euros. Ce qui s’est traduit par une baisse de 57% de son bénéfice net, lequel s’est élevé à 303 millions d’euros.

Lors de la présentation de ces résultats, le Pdg de Dassault Aviation, Éric Trappier, a longuement évoqué les difficultés actuelles concernant le programme de Système de combat aérien du futur [SCAF], mené par la France, en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne.

Pour rappel, Dassault Aviation est le maître d’oeuvre du New Generation Fighter, c’est à dire l’avion de combat sur lequel reposera ce « système de systèmes » que sera le SCAF. Or, selon les explications de M. Trappier, ce rôle est de plus en plus difficile à tenir… en raison de désaccords sur le partage des tâches avec Airbus.

L’arrivée de l’Espagne dans ce programme, favorisée par l’Allemagne lin, fait que, désormais, Airbus peut revendiquer les deux tiers des travaux relatifs au NGF. Ce que Dassault Aviation a accepté, a indiqué M. Trappier.

Seulement, et alors que le contrat de la phase 1B, qui doit permettre le développement d’un démonstrateur, est actuellement en suspens, Airbus souhaite qu’il y a ait davantage de tâches [les « work packages »] qui se fassent en « joint », c’est à dire sans qu’il y ait un responsable désigné. « Cela veut dire qu’on travaille ensemble », a expliqué M. Trappier.

Et « là aussi, on a accepté à peu près la moitié des ‘work packages’ se fassent en ‘joint’, donc sans responsabilité et que l’autre moitié soit partagée d’une manière assez équitable entre les trois, ce qui veut dire que Dassault a encore moins de responsabilités dans les 50% restants » qu’Airbus, a dit M. Trappier. Ce qui veut dire que l’Allemagne et l’Espagne ont quasiment la mainmise sur le NGF…

Mais cela ne leur suffit pas… « Il y a encore une demande supplémentaire qui consisterait à équilibrer aussi qualitativement les ‘work package’ dits sensibles ou stratégiques. Et là, ça butte un peu », a euphémisé M. Trappier.

D’où les propos tenus par la chancelière Angela Merkel, à l’issue du conseil franco-allemand de défense du 5 février dernier. « Vous savez que c’est un projet sous leadership français mais il fait quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues [français]. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership », avait-elle dit.

S’agissant de la propriété intellectuelle, le chef d’état-major de la Luftwaffe, le général Ingo Gerhartz, avait précedemment affirmé qu’il n’était pas question pour lui d’avoir des « boîtes noires » technologiques sur lesquelles « on ne pourrait pas avoir accès ».

Aussi, M. Trappier a-t-il fait une mise au point, tant sur les questions de propriété intellectuelle que sur celles relatives au partage des tâches, lesquelles, et in fine, remettent en cause la capacité de Dassaut Aviation à tenir son rôle de maître d’oeuvre pour le NGF.

« Celui qui créé doit être le propriétaire de sa technologie. Le créateur doit être protégé. […] Parfois, on confond celui qui paye avec celui qui créé. Non, c’est le créateur qui reste maître de sa propriété intellectuelle », a-t-il dit. Et il n’est donc pour Dassault Aviation de renoncer à plus de 70 ans d’expérience en matière d’aviation de combat.

« Ce qui ne veut pas dire qu’on n’est pas prêt à utiliser cette capacité intellectuelle pour bâtir un programme du futur, au contraire. Mais on ne peut pas donner de la propriété intellectuelle : ça m’appartient, je peux la partager si je le souhaite mais reste le propriétaire », a insisté M. Trappier, pour qui ce sujet, dans les négocations en cours, se pose entre les États.

En outre, le Pdg de Dassault Aviation a répondu direcement au chef d’état-major de la Luftwaffe, soulignant que la propriété intellectuelle n’a rien à voir avec les « boîtes noires ».

« Une boîte noire, c’est par exemple un avion américain. Vous n’avez même pas le droit de regarder, d’ouvrir la boîte et de savoir ce qu’il y a dedans », a-t-il dit, alors que l’Allemagne envisage l’acquisition de F/A-18 Super Hornet auprès de Boeing… Et qu’elle a déjà eu une expérience dans ce domaine avec le fiasco des drones HALE EuroHawk, développés en partenariat avec Northrop Grumman…

« Il n’y aura pas de boîte noire dans le SCAF et le NGF de la part de Dassault. Tout sera ouvert », a assuré M. Trappier.

Quant au partage des tâches, le Pdg de Dassault aviation a dit qu’il saurait « faire une maîtrise d’oeuvre avec 1/3 – 1/3 – 1/3 de charges » de travail. « C’est tout à fait possible – après tout, nous [Dassault] sommes un architecte – si les rôles sont bien répartis », a-t-il ajouté. Seulement, dans les discussions en cours, les choses sont plus compliquées. « Si on me demande de faire 1/3 – 1/3 – 1/3 dans tous les ‘packages’, là, ça ne marche plus parce qu’il faut bien les outils pour être capable d’assumer notre rôle de maître d’oeuvre », a-t-il souligné.

Et de s’interroger : puis-je être « maître d’oeuvre si on m’impose les sous-traitants, les coopérants et la façon de travailler et qu’on me dit que l’on doit être trois à décider? »

En tout cas, pour M. Trappier, le pronostic vital du SCAF « n’est pas engagé ». Pas encore du moins… « Je ne vais pas vous dire que le malade n’est pas dans un état difficile », a-t-il admis. « Mais on y croit encore. Mais si on n’y arrivait pas, la question du plan B se pose », a-t-il continué.

« Cette question du plan B, je n’en parlerai pas aujourd’hui. […] Un chef d’entreprise a toujours en tête un plan B. Il fait tout pour la réussite du plan A. Tout. Mais le jour où le plan A ne marche pas, il lui faut un plan B », a lancé M. Trappier.

Ce plan B passerait-il par un cavalier seul? C’est une « décision politique », a-t-il affirmé. « En termes techniques, je dois dire que Dassault sait faire des avions tout seul, on le démontre tous les jours avec le Rafale et les Falcon. Safran sait faire des moteurs d’avions de combat […] et Thales sait faire des radars, des contre-mesures et un certain nombre d’équipements optroniques. Donc, si on met Dassault plus Safran plus Thales et que je rajoute MBDA pour les missiles, la réponse est techniquement oui », a-t-il avancé.

Cela étant, la « vraie question qui se pose est celle de l’efficacité », a-t-il poursuivi. « On fait de la coopération pour être plus efficace ensemble pas pour faire de la coopération pour la coopération », a-t-il conclu.

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