Mali : Le secrétaire général de l’ONU parle d’établir un « dialogue » avec les groupes jihadistes

La semaine passée, tant devant la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat que celle de la Défense à l’Assemblée nationale, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], a vivement réagi aux propos tenus par [Sophie] Mariam Pétronin, l’otage franco-suisse qui venait d’être libérée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM] après un échange de prisonniers consenti par les nouvelles autorités maliennes, lesquelles cherchaient surtout à récupérer Soumaïla Cissé, un responsable politique de premier plan, enlevé six mois plus tôt dans la région de Tombouctou.

Pour rappel, Mme Pétronin avait déclaré, au sujet de ses géôliers, qu’il s’agissait de « groupes d’opposition armés au régime », tout en les assimilant à des militaires.

« Que les choses soient bien nommées : notre adversaire n’est pas un groupe armé d’opposition au régime malien. Il s’agit bien d’une organisation terroriste internationale. Les groupes terroristes que nous combattons au Mali ont fait allégeance à Al-Qaida et visent à contrevenir directement à la sécurité des Français et sur le territoire national et à l’étranger », a donc fait valoir le général Lecointre.

Et de poursuivre sa mise au point : « On ne peut comparer ces personnes aux militaires français » qui « appartiennent à une armée régulière » et qui « se battent dans le respect du droit international et du droit de la guerre, en maîtrisant leur violence, guidés en permanence par une éthique particulièrement exigeante. »

En outre, pour le général Lecointre, il ne peut y avoir la moindre ambiguïté. « Notre engagement reste guidé par la volonté d’abattre l’hydre terroriste et de garantir la sécurité des Français. […] Il doit être très clair pour l’ensemble des familles qui ont perdu des leurs dans les combats que nous menons au Mali depuis des années que nous ne déviions pas de ligne, que notre combat reste le même et qu’il est tout aussi légitime qu’il l’était. »

Cependant, le sécrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’est visiblement pas sur la même longueur d’ondes. Alors que, le 16 octobre, un Casque bleu égyptien de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilité du Mali [MINUSMA] a perdu la vie lors d’une attaque à Kidal, fief du GSIM, et qu’une vingtaine de personnes [dont une douzaine de soldats maliens] ont été tuées dans le centre du pays, M. Guterres a estimé qu’une dialogue avec « certains groupes extrémistes » est « possible ».

« Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler, et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur », a en effet déclaré le secrétaire général de l’ONU lors d’un entretien donné au quotidien Le Monde. « Mais il reste ceux dont le radicalisme terroriste est tel qu’il n’y aura rien à faire avec eux », a-t-il ajouté, en faisant un parallèle avec l’Afghanistan, où les jihadistes de la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique [EI-K] ne prennent pas part aux discussions de paix entre Kaboul et le mouvement taleb afghan.

« En Afghanistan, il y a un groupe terroriste avec lequel le dialogue est impossible, c’est l’État islamique. Sa vision est tellement radicale qu’elle ne comporte aucune perspective de discussion possible », a relevé M. Guterres.

Si l’on suit le raisonnement de ce dernier, il y aurait donc deux types de jihadistes : les « extrémistes modérés », donc ceux du GSIM, et les « extrémistes radicaux » de l’État islamique au grand Sahara [EIGS]. Dans un cas, c’est ce qu’on appelle un oxymoron, dans l’autre, un pléonasme…

Cela étant, pour le secrétaire général de l’ONU, ce dialogue permettrait de sortir de l’impasse étant donné que, explique-t-il, l’action de MINUSMA est limitée et de permet pas un « combat efficace contre les menaces terroristes », que la force française Barkhane a des « possibilités limitées face à l’étendue du territoire à contrôler » et que la Force conjointe du G5 Sahel manque de moyens et de capacités, en partie à cause de son « échec » à faire en sorte qu’elle soit une « force africaine d’imposition de la paix et de lutte antiterroriste, basée sur un mandat clair, sous chapitre VII de
la charte des Nations unies. »

Quoi qu’il en soit, M. Guterres reprend à son compte l’avis de Smaïl Chergui, le commissaire de l’Union africaine [UA] à la Paix et la Sécurité qui, dans les colonnes du quotidien suisse Le Temps, avait appelé à « explorer le dialogue avec les extrémistes » au Sahel pour « faire taire les armes ».

Reste que l’éventualité d’un dialogue avec les groupes jihadistes, et en particulier avec ceux relevant du GSIM, avait déjà été avancée par Ibrahim Boubacar Keïta, l’ex-président du Mali. Des « contacts » furent même établis, avait-il confié à RFI et à France 24, en février 2020. Et la tenue de telles discussions avait même été recommandée par l’International Crisis Group dès mai 2019.

En mars dernier, le GSIM fit d’ailleurs fait connaître ses revendications, via une déclaration publiée par l’entremise d’al-Zallaqa, sa branche médiatique. Sans surprise, la formation jihadiste posait comme condition préalable à toute discussion le retrait des troupes françaises et de « ceux qui les suivent », donc de la MINUSMA. Et elle ne fit pas mystère de son intention d’appliquer la charia [loi islamique] au Mali.

« Iyad [Ag Ghaly, le chef du GSIM] reste un membre éminent de la hiérarchie d’al-Qaïda, donc à partir du moment où al-Qaïda reste notre ennemi, Iyad reste notre ennemi. Son statut n’a pas changé et son positionnement, à ma connaissance, n’a pas changé non plus », avait répondu un conseiller de l’Élysée, lors d’une rencontre avec l’Association de la presse diplomatique.

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