Les entreprises américaines et britanniques pourront-elles profiter du Fonds européen de Défense?

Quand l’idée de créer un Fonds européen de Défense [FEDef] a été mise sur la table pour se substituer au Plan de développement industriel dans le domaine de la défense [PEDID], créé en 2017 , l’objectif était de renforcer l’autonomie stratégique européenne, via des projets capacitaires développés dans le cadre de la Coopération structurée permanente [CSP ou PESCO].

Cette nécessité était alors motivée par au moins trois raisons : la montée des menaces dans un contexte marqué par un affaiblissement du multilatéralisme, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne [Brexit], décrite dans un rapport du Sénat comme un « électrochoc en matière de défense, en raison du rôle essentiel de ce pays dans l’architecture de sécurité du continent », et l’attitude des États-Unis depuis l’élection de M. Trump à la Maison Blanche.

Dès le départ, la France a soutenu une vision ambitieuse pour ce FEDef. Et cela d’autant plus que le président Macron a fait du renforcement de l’autonomie stratégique européenne l’un de ses chevaux de bataille.

Aussi, quand, lors des négociations sur le Cadre financier pluriannuel [CPF] de l’UE pour la période 2021-2027, la Finlande proposa de diviser par deux la dotation d’environ 13 milliards d’euros alors envisagée pour le FEDef, la France monta au créneau en parlant de « ligne rouge ».

Pour rappel, cette réduction significative devait permettre de financer d’autres priorités alors que quatre membres de l’UE [Pays-Bas, Autriche, Danemark et Suède] plaidaient pour une réduction du montant du CPF. En mai, lors d’une audition parlementaire, la ministre française des Armées, Florence Parly, fit valoir que réduire les ambitions du FEDef serait, plus qu’une erreur, une « faute », soulignant que cet instrument financier était une « nécessité absolue ».

La suite est connue. En juillet, les 27 États membres trouvèrent enfin un accord sur le CPF ainsi que sur le plan de relance européen [doté de 700 milliards d’euros]… au prix d’une réduction significative du montant alloué au FEDef, ce dernier ayant été fixé à seulement 6 milliards d’euros. Cela étant, pour Mme Parly, cette « faute » qu’elle évoquait quelques semaines plus tôt, n’était finalement pas si grande, l’important étant qu’un tel fonds puisse exister. « C’est un changement de paradigme, c’est une révolution », dira-t-elle plus tard…

Mais la France pourrait également avaler une autre couleuvre. Pour faire émerger une base industrielle et technologique de Défense européenne [BITD-E], il était prévu de réserver l’accès au FEDef aux projets portés par aux moins trois entreprises issues de trois États membres, ayant obligatoirement leurs infrastructures au sein de l’UE et dont les décisions ne devaient pas être contrôlées par une « entité installée » hors de l’UE. En clair, la filiale européenne d’un groupe américain, canadien ou britannique ne pouvait pas être éligible au FEDEF [sauf dans des cas bien particuliers]. D’où les critiques des États-Unis visant ces dispositions, estimant que ces dernières étaient « protectionnistes ».

La France a fermement rejeté de telles critiques. « Oui, nous allons développer une industrie européenne, une innovation européenne, des technologies européennes » et « non, […] ce n’est pas un protectionnisme malsain ou déguisé » car c’est « simplement une manière de prendre notre destin en main et d’assurer la protection de 500 millions de citoyens européens », fit valoir Mme Parly en mai 2019, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale.

Sauf que, au sein de l’UE, tout le monde ne partage pas ce point de vue… Dont les Pays-Bas, la Pologne et la Suède, la BITD de ces pays étant liée, par bien des côtés à celle des États-Unis. Et les modalités d’accès au FEDef font actuellement l’objet d’une tentative de compromis de part de l’Allemagne, qui s’est donné l’objectif de régler cette question d’ici la fin de cette année, c’est à dire durant son mandat à la tête du Conseil européen.

« Le temps presse pour l’Allemagne de trouver un compromis sur la possibilité de laisser les États-Unis, le Royaume-Uni et les autres pays non membres de l’Union européenne puiser dans le nouveau programme de coopération en matière de défense de l’Union », écrit en effet Defense News.

« C’est une question importante à résoudre, en particulier pour les partenaires de l’Otan », a confié Karl-Heinz Kamp, un responsable du ministère allemand de la Défense, lors d’une récente conférence virtuelle organisée par le magazine américain. Si Berlin est « assez optimiste » pour trouver un compromis, il n’en reste pas moins que « ni la politique turque ni la politique américaine n’aident à trouver un tel consensus », a-t-il ajouté.

« Nous avons un grave problème au sein de l’Otan […] parce que certains alliés ont des différends avec d’autres alliés. Nous avons un différend turco-français en Méditerranée et nous avons un différend gréco-turc. La Turquie ne se comporte pas toujours – permettez-moi de le dire – comme un allié idéal de l’Otan. Et cela rend les choses un peu plus difficiles », a expliqué M. Kramp.

Quoi qu’il en soit, le compromis que cherche le gouvernement allemand sera d’autant plus compliqué à trouver si la France reste ferme sur ses positions. Selon un porte-parole du ministère allemand de la Défense, on devrait y voir sans doute plus clair le 20 novembre prochain, une solution censée satisfaire tout le monde devant être soumise lors d’un Conseil européen des Affaires étrangères et de défense.

Photo : Projet Twister, retenu au titre de la CSP

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