Face à la montée en puissance de la Chine, l’Australie va augmenter ses dépenses militaires de 40%

La Chine est le premier partenaire commercial de l’Australie, tant pour les exportations que les importations. Une note du Trésor français notait en effet que, en 2018, elle représentait « 25,2% de tous les flux commerciaux australiens, pour 31,1% des exportations et 18,9% des importations. »

Et un rapport du Sénat, publié en décembre 2016, relevait que l’Australie était l’un des rares pays développés ayant un excédent commercial conséquent avec la Chine. Pour autant, Canberra « mesure les ambitions chinoises en termes d’influence dans la zone indo-pacifique et souhaite amener la République populaire de Chine à une plus grande transparence sur ses intentions », avancèrent ses auteurs. Et ces derniers d’ajouter : « La propension de la Chine à investir dans les pays de la zone indo-pacifique pour soutenir leur développement suscite de réelles interrogations […] ce qui soulève la question d’une éventuelle contrepartie à ces investissements en termes d’influence politique. »

Quoi qu’il en soit, et en dépit de liens économiques importants, les relations entre l’Australie et la Chine ne sont pas actuellement au beau fixe. Outre les ambitions chinoises dans la région indo-pacifique, Canberra a ainsi reproché à Pékin ses ingérences dans les affaires intérieures australiennes, via des participations dans de grands projets d’infrastructure ou encore des opérations d’influence dirigées vers le monde politique.

Et les tensions entre les deux pays sont récemment montées d’un cran après la décision de Canberra de bannir l’équipementier chinois Huawei des futurs réseaux 5G australiens et son appel à mener une enquête indépendante sur l’apparition en Chine du SARS-Cov2, le coronavirus à l’origine de pandémie de Covid-19. Enfin, le 19 juin, le Premier ministre australien, Scott Morrison, a affirmé que son pays était la cible d’attaques informatiques de la part d’un « acteur étatique ». S’il ne l’a pas nommé, il a fortement laissé entendre qu’il s’agissait de la Chine.

C’est donc dans ce contexte que, ce 1er juillet, l’Australie a publié une mise à jour de son Livre blanc sur la défense de 2016, afin de prendre en compte la situation actuelle, jugée plus dangereuse qu’avant l’apparition de la Covid-19.

« Même si, chez nous, nous sommes venus à bout de l’épidémie de coronavirus, nous devons nous préparer au monde de l’après Covid-19 qui sera plus pauvre, plus dangereux et plus désordonné », a ainsi affirmé M. Morrison, allant même jusqu’à estimer que l’Australie fait désormais face à des « défis régionaux d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale », lors d’un discours prononcé à l’Australian Defence Force Academy.

Et cela d’autant plus, a relevé le chef du gouvernement australien, que la région Indo-Pacifique est « l’épicentre » d’une concurrence stratégique croissante, notamment entre les États-Unis et la Chine, et que, par conséquent, « le risque d’erreur de calcul – et même de conflit – augmente ». Et d’ajouter : « Nous devons donc être préparés à encadrer le monde dans lequel nous vivons du mieux que nous pouvons, et être prêts à réagir et à jouer notre rôle pour protéger et défendre l’Australie. »

« Nous voulons une région Indo-Pacifique exempte de coercition et d’hégémonie. Nous voulons une région où tous les pays, grands comme petit, peuvent dialoguer librement entre eux, dans le cadre des règles et des normes internationales », a encore déclaré M. Morrison, en faisant allusion, sans la mentionner explicitement, à la Chine.

Cela étant, il ne faut pas s’y tromper : il s’agit pour Canberra de se préparer à contrer la montée en puissance chinoise. « Il n’y a qu’un seul pays ayant à la fois la capacité et le désir de dominer la région indo-pacifique d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de l’Australie. Et nous ne parlons pas du Canada », a commenté Peter Jennings, de l’Australian Strategic Policy Institute [ASPI] auprès d’ABC.

« Quand on parle des mauvais comportements dans la région, de l’annexion de territoires [comme en mer de Chine méridionale, ndlr], de coercition, d’ingérence dans les affaires intérieures, de cyberattaque, il n’y a vraiment qu’un seul pays qui fait cela au niveau industriel. Et c’est la Chine », a-t-il dit.

Cette mise à jour du Livre blanc australien sur la Défense de 2016 fixe trois nouveaux objectifs : « façonner l’ environnement stratégique de l’ Australie », « dissuader toute action contre les intérêts » australiens et, au besoin, apporter une réponde militaire « crédible ».

Pour cela, M. Morrison a indiqué que les dépenses militaires australiennes allaient atteindre les 166 milliards d’euros au cours de la prochaine décennie, ce qui représentera une hausse significative de +40%. Cet effort supplémentaire doit permettre aux forces australiennes de se doter de capacités de frappe plus importantes.

Ainsi, il est question d’acquérir au moins 200 missiles de croisière antinavire AGM-158C LRASM [Long Range Anti-Ship Missile, d’une portée de 370 km] auprès des États-Unis pour près de 500 millions d’euros. Et 5 milliards d’euros devraient être dédiés à la mise au point d’armes hypersoniques et à longue portée. La Chine, la Russie, les États-Unis et la France ont déjà des projets similaires.

Les forces australiennes « ont maintenant besoin de capacités de dissuasion plus fortes », a justifié M. Morrison. De telles capacités peuvent maintenir à distance des forces et les infrastructures critiques d’adversaires potentiels, dissuadant ainsi une attaque contre l’Australie tout en contribuant à prévenir une guerre », a-t-il ajouté.

Pour Canberra, la puissance militaire américaine n’est plus forcément une garantie… [du moins des études australiennes ont exprimé des doutes à ce sujet]. D’où cet effort annoncé dans le domaine des armes hypersoniques. Quant aux missiles anti-navires AGM-158C, il s’agit de remédier à la principale vulnérabilité de l’Australie. Étant une île, ses forces armées doivent avant tout protéger ses lignes d’approvisionnement de tout éventuel blocus.

D’où aussi, d’ailleurs, une enveloppe de 3 à 4 milliards d’euros pour déployer un système de surveillance sous-marine, avec des capteurs de haute technologie et le recours, éventuel, de drones sous-marins.

En outre, il est prévu un budget de 4 milliards d’euros pour améliorer les capacités spatiales des forces australiennes et mettre en orbite des satellites afin de créer un réseau de communications indépendant. Et plus de 9 milliards d’euros seront investis pour renforcer la cyberdéfense. Enfin, des capacités pour contrer des activités de ce que l’on appelle la « guerre hybride » [mélange d’opérations d’influence, de désinformation, de propagange, d’actions militaires clandestines, de cyberattaque et de pressions politique] seront développées.

A priori, cette hausse des dépenses militaires australiennes fait consensus. Ainsi, le porte-parole du Parti travailliste [opposition] pour les affaires militaires, Richard Marles, a salué les mesures annoncées. « La Covid-19 change le monde qui nous entoure. Les Travaillistes soutiennent la nécessité d’une défense australienne résiliente pour y faire face. Cela sera beaucoup plus important à l’avenir que par le passé », a-t-il affirmé.

Photo : Lockheed-Martin 

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]