Incident avec la Turquie : La France suspend sa participation à l’opération Sea Guardian, menée par l’Otan

Le 10 juin, engagée dans la mission Sea Guardian et à la demande du commandement maritime allié de l’Otan [MARCOM], la frégate légère furtive [FLF] « Courbet » a tenté de contrôler le cargo Cirkin, alors suspecté d’acheminer du matériel militaire en Libye depuis la Turquie.

Plus tôt, le même navire avait été approché par la frégate grecque HS Spetsai, de l’opération navale EUNAVFOR MED Irini, lancée par l’Union européenne afin de faire respecter l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies. Seulement, cette dernière avait dû y renoncer, après en avoir été dissuadée par la présence d’une frégate turque.

Quoi qu’il en soit, la frégate française a été empêché de procéder au contrôle qui lui avait été demandé en raison de la présence de trois navires turcs se trouvant à proximité du Cirkin et utilisant des codes d’identification de l’Otan alors qu’il ne leur était pas permis de le faire étant donné qu’ils ne participaient pas une mission de l’Alliance. L’un d’eux, selon Paris, a même « illuminé » le Courbet avec son radar de conduite de tir à trois reprises, en l’espace d’une minute.

« Cette affaire est à nos yeux très grave […]. On ne peut pas accepter qu’un allié se comporte comme cela, fasse cela contre un navire de l’Otan sous commandement Otan menant une mission Otan », ont alors dénoncé les autorités françaises.

L’incident a ensuite été évoqué lors d’une réunion des ministres de la Défense des pays membres de l’Otan. Dans un premier temps, le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, a donné le sentiment de chercher à le minimiser, avant finalement de se résoudre à commander à une enquête.

Lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, ce 1er juin, l’ambassadeur de Turquie en France, Ismaïl Hakki Musa, a donné la version turque de cet incident, quitte visiblement à prendre quelques libertés avec certains faits.

Ainsi, le diplomate a repris en grande partie les explications données le 18 juin dernier à l’AFP par un responsable turc sous le sceau de l’anonymat. Selon ces dernières, le navire turc aurait utilisé une « caméra intégrée à son radar pour observer » la frégate française qui « effectuait une manoeuvre dangereuse à très faible distance, et cela par mesure de sécurité. » Et, avait-il ajouté, à « aucun moment le radar » de conduite de tir ne l’a illuminée. »

Au Sénat, M. Hakki Musa a donc repris les mêmes éléments, assurant que les trois navires turcs participaient bel et bien à une opération de l’Otan [laquelle?]. En outre, il a affirmé que le cargo en question [qu’il n’a pas nommé] venait déjà de subir deux contrôles au cours de la même journée sans le moindre problème [ce qui est discutable si l’on en juge par la tentative de la frégate grecque] et que le Courbet avait effectué une manoeuvre dangereuse, en portant sa vitesse à 20 noeuds.

Document produit par l’ambassadeur de Turquie lors de son audition au Sénat

Enfin, le diplomate a produit un document censé démontrer que le navire français avait fait l’objet d’une « désignation » et non d’une « illumination » par le radar de conduite d’une frégate turque.

Pour rappel, l’État-major des armées s’était déjà expliqué sur cette version des faits quand elle fut avancée par le responsable turc interrogé par l’AFP. En effet, il avait affirmé que le Courbet s’était « approché » du Cirkin « sans mettre en cause la sécurité nautique, ni déroger aux règles de navigation » et que « cette manoeuvre avait donné lieu à un comportement agressif d’une des trois frégates turques en escorte du convoi », laquelle avait gêné l’approche du cargo suspect en illuminant par trois fois le navire français avec son radar de conduite de tir.

Visiblement, si la version donnée par l’ambassadeur turc n’a pas convaincu les sénateurs, il en a été autrement parmi les « experts » de l’Otan, lesquels, selon le diplomate, n’auraient pas confirmé les accusations lancées par la France contre la Turquie.

« Le secrétaire général de l’Otan a ordonné une investigation qui vient d’être faite et d’après les informations que j’ai eues, ce n’est pas concluant compte tenu de la réclamation de nos amis français », a déclaré M. Hakki Musa. « Il semble que les experts de l’Otan n’arrivent pas à la même conclusion », a-t-il insisté. Et de préciser que, en réaction, Paris venait de décider de se retirer de l’opération Sea Guardian et que l’Otan en avait été informé la veille.

Ce qu’a en partie confirmé le ministère des Armées, qui n’a pas évoqué les résultats de l’enquête menée par l’Otan. Dans l’attente d’obtenir des réponses à des demandes relatives à l’incident avec la Turquie, « nous avons décidé de retirer temporairement nos moyens de l’opération Sea Guardian », a-t-il indiqué. Et d’ajouter, en visant la Turquie : « Il ne nous paraît pas sain de maintenir des moyens dans une opération censée, parmi ses différentes tâches, contrôler l’embargo avec des alliés qui ne le respectent pas. »

En outre, Paris demande que « les alliés réaffirment solennellement leur attachement et leur engagement au respect de l’embargo » sur les armes en Libye et dit souhaiter un « mécanisme de déconfliction plus précis au sein de l’Alliance atlantique. »

Reste que, dans cette affaire, et comme le montre la réserve de M. Stoltenberg, la Turquie joue sur du velours, comme l’a d’ailleurs fait observer M. Hakki Musa aux sénateurs.

« Imaginez l’Otan sans la Turquie! Vous n’aurez plus d’Otan ! Il n’y aura plus d’Otan sans la Turquie! Vous ne saurez pas traiter l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Méditerranée au sud, le Caucase, la Libye, l’Egypte », a en effet lancé le diplomate. « La Turquie, ce n’est pas un pays quelconque dans l’Otan. […] Nous avons gardé le flanc Sud et Est pendant la Guerre froide avec beaucoup d’efforts, des fois au détriment de la prospérité de notre nation, de notre peuple », a-t-il conclu.

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