Après l’éjection d’un passager civil, un Rafale aurait pu être perdu sans la chance… et le sang-froid de son pilote

Le 20 mars 2019, à Saint-Dizier, un Rafale B de l’Escadron de transformation [ETR] 3/4 « Aquitaine » manqua de s’écraser après l’éjection impromptue de son passager civil, un haut cadre d’une « société française d’armement » alors âgé de 64 ans. L’incident s’était produit peu après le décollage de l’appareil. Trois enquêtes [judiciaire, commandement et sécurité] avaient ensuite été ouvertes. Et le Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État [BEA–É] a rendu ses conclusions, le 6 avril [.pdf].

Au moment des faits, l’armée de l’Air avait expliqué que des vols avec « des journalistes ou des élus » étaient « régulièrement » organisés à des fins de communication et d’information. Et de préciser que, pour cela, l’invité devait systèmatiquement passer, au moins 10 jours avec le vol, une visite médicale au Centre d’expertise médicale du personnel naviguant [CEMPN] avant de recevoir l’agrément du ministère des Armées [ou de l’état-major de l’armée de l’air par délégation de la ministre des armées, ndlr].

Seulement, ce protocole n’a pas été respecté à en juger par le rapport du BEA-É. Si ce dernier souligne que ce type de vol est « fréquent » au sein de l’ETR 3/4 « Aquitaine », celui organisé ce-jour avait fait l’objet d’une note de service indiquant « un repas avec le commandant de base, la présence de nombreux accompagnants et d’un reportage photo assuré par la cellule communication de la base ». En clair, le passager qui devait faire son « baptême » de l’air à bord d’un Rafale était considéré comme un « VIP » [Very Important Person] par le personnel de l’unité.

« De plus, la rédaction de la note de service ne prévoit aucune solution secondaire en cas d’impossibilité de faire le vol comme par exemple un vol au simulateur, accentuant davantage la volonté de mener à bien la mission comme prévue », souligne encore le BEA-É.

S’agissant du passager, ce vol à bord d’un Rafale, organisé par quatre de ses collègues de travail [dont un ancien pilote de l’armée de l’Air], devait être une surprise. La visite médicale au CEMPN passa donc à l’as. Et il n’a vu le médecin pour confirmer son aptitude que quelques heures à peine avant de prendre place dans l’avion de chasse.

« Le médecin est donc incité à délivrer une aptitude, ou à défaut une aptitude avec limitation, afin de permettre le bon déroulement de la mission », note le BEA-É. Cependant, le médecin imposa une limite : au cours du vol, le passager ne devait pas être soumis à un facteur de charge supérieur à +3G. Or, cette information n’a pas été transmise au pilote qui devait assurer le vol.

Seulement, après le décollage, et conformément au profil de la mission, prévue dans le programme d’activités de l’escadron et qui impliquait deux autres Rafale, le pilote réalisa une assiette en montée de 47°, générant un facteur de charge avoisinant les +4G. Puis, il effectua une mise en palier, occasionnant un facteur de charge négatif de -0,6G. Ce fut alors à ce moment précis que le passager actionna la poignée d’éjection de son siège, comme l’a déterminé le BEA-É.

« Découvrant la sensation du facteur de charge négatif, le passager insuffisamment sanglé et totalement surpris s’accroche à la poignée d’éjection et l’actionne involontairement. Au cours de l’éjection, le passager perd son casque et son canot ne se gonfle pas », lit-on dans le rapport.

Le passager fut d’autant plus surpris qu’il ne s’était pas préparé à voler à bord d’un avion de combat. Qui plus est, il n’avait « jamais fait état d’une envie de réaliser ce type de vol, et en particulier sur Rafale », précise le BEA-É.  »

Avec ses collègues, il s’est rendu la veille au soir à Saint-Dizier sans connaissance du programme des jours suivants. La volonté de conserver la surprise jusqu’au moment du vol a eu pour conséquence de réduire au maximum les délais de chaque étape de préparation au vol […]. Cette situation a généré un sentiment de stress pour le passager, ce qui s’est particulièrement fait ressentir
lors du briefing siège éjectable où il a dû assimiler un grand nombre d’informations en très peu de temps. De plus, le stress lié à la surprise a été amplifié par l’absence totale d’expérience aéronautique militaire. Le passager a en effet dit avoir une méconnaissance complète de l’environnement aéronautique et de ses contraintes, n’ayant jamais volé sur un avion militaire », est-il expliqué dans le rapport.

Et ce dernier d’insister : « L’effet de surprise associé à une absence d’expérience aéronautique militaire a donc eu pour conséquence de créer et maintenir un stress important chez le passager toute la matinée. Cette situation favorise particulièrement la réduction des capacités décisionnelles du passager. Mis devant le fait accompli le jour du vol, il lui a été très difficile de refuser de participer au vol. »

Quoi qu’il en soit, sous l’effet d’un stress intense, le passager a donc involontairement actionné la poignée d’éjection. Mais cet incident aura mis en lumière un problème qui, paradoxalement, aura permis d’éviter de perdre un Rafale B, ainsi qu’un autre dysfonctionnement dans le réglement permettra d’améliorer la sécurité des équipages.

En effet, normalement, à partir du moment où la poignée d’éjection est tirée, le passager et le pilote auraient dû être éjectée du Rafale en même temps. La cause? « La rupture du carter du sélecteur de séquence est imputable au vissage imparfait de la vis de retenue de la ligne pyrotechnique », indique le BEA-É, qui, en conséquence, a recommandé « de mettre en œuvre cette nouvelle méthode de vérification de la bonne installation des vis en phase de production et dans les unités, lors des remplacements des boîtiers ou des lignes pyrotechniques de l’avion Rafale. »

Quant à « l’absence de gonflage du canot » du paquetage de survie intégré au siège de l’infortuné passager, elle fut causé par le « blocage du cordon permettant l’ouverture de la bouteille de CO2. » Selon le BEA-É, les travaux menés depuis par la Direction de la Maintenance Aéronautique [DMAé] ont permis de faire évoluer le « paquetage » en juin 2019.

Cela étant, la chance était une condition nécessaire mais non suffisante pour éviter la destruction de ce Rafale B. Ayant donc pu rester à son bord alors qu’il aurait pu en être éjecté à tout moment, son pilote a fait preuve d’un sang-froid et d’une maîtrise remarquables.

« L’analyse des enregistrements radio permet de constater la maîtrise de la situation par le pilote. Une fois informé que son passager s’était éjecté, le pilote prend conscience qu’il aurait dû être lui-même éjecté. Il fait alors preuve d’un calme certain pour piloter son avion malgré la multitude de messages de panne que l’ordinateur de bord affiche et un centrage avion inhabituel [mais avec un impact léger sur le pilotage] suite à la perte du siège arrière et de la verrière », relate le BEA-É.

« Les actions de sécurité ont été réalisée : passage du transpondeur sur 7700 [code de détresse], décision d’éviter le survol de toutes les zones habitées, vidange du carburant et atterrissage adapté par une longue finale. » Une fois au sol, le pilote a évacué l’avion, sans assistance et sans sécurisation du siège. Pour le BEA-É, il a pris une « décision appropriée au regard de sa formation et des risques pyrotechniques perçus comme imminents suite au dysfonctionnement exceptionnel dans la chaine pyrotechnique. »

« La gestion par le pilote de cette situation d’urgence inédite [éjection non volontaire d’un passager associé à une panne technique du processus d’éjection] a permis de ramener l’avion sur la base et son évacuation en préservant les biens et les personnes », insiste le BEA-É dans son rapport.

Reste que, pour offrir à un collègue de travail des sensations fortes en organisant un vol à bord d’un avion de combat , on peut toujours se tourner vers des entreprises qui en ont fait leur spécialité, comme Top Gun Voltige ou Tematis. À condition, bien sûr, de ne pas forcer la main au collègue en question…

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