Le Tchad lance l’opération « Colère de Bohoma » contre les jihadistes présents au Nigéria et au Niger

Alors que le groupe jihadiste nigérian Boko Haram, qui plus est miné par des divisions internes ayant depuis abouti à la création d’une faction rivale appelée « Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest » [ISWAP] semblait en perte de vitesse après avoir subi des revers face à la Force multinationale mixte [FMM] réunissant les forces armées des pays de la commission du lac Tchad, N’Djamena décida, en 2017, de rappeler ses troupes jusqu’alors déployée au Nigéria, où elles venaient de livrer de rudes combats contre la formation terroriste.

Seulement, cette dernière en profita pour reprendre de la vigueur. Ce qui avait été souligné dans un rapport relatif aux activités du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, publié en décembre 2017. Ainsi, le document avait expliqué la recrudescence des attaques commises par Boko Haram par le « retrait des soldats tchadiens de la Force multinationale mixte », ce qui aurait des « incidences sur l’action » de cette dernière, ainsi que par des « allégations de violations des droits de l’homme par le personnel de sécurité ont compromis la coopération avec les communautés touchées et la collecte de renseignements. »

Les attaques répétées de Boko Haram et de l’ISWAP finirent par démoraliser les forces armées nigérianes, par ailleurs dépourvues de moyens et de… stratégie. Et les jihadistes reprirent leurs incursions au Tchad, dans le sud du Niger et dans l’extrême-nord du Cameroun.

D’où l’envoi, en février 2019, de « plus de 500 soldats » tchadiens au Nigeria, plus précisément dans le 2e secteur de la Force multinationale mixte, afin de « prêter main forte » à l’armée nigériane. Ce déploiement dura jusqu’en janvier dernier. Et le départ du contingent tchadien, qui avait fini par atteindre un effectif de 1.200 hommes, suscita la panique au sein des populations nigérianes, notamment dans la ville de Gajiganna, où une base tchadienne avait été installée.

Mais la lutte contre les groupes jihadistes ne souffre aucun relâchement… d’autant plus que, ces derniers mois, s’agissant du Nigéria, l’ISWAP a mené plusieurs opérations avec succès contre les forces armées locales, ce qui lui a permis de récupérer des armes et des équipements militaires en nombre.

Et, le 24 mars, sur la presqu’île de Bohoma, l’armée tchadienne s’est fait surprendre. Sa position y ayant été attaquée par de nombreux jihadistes [présentés comme appartenant à Boko Haram alors que des images de l’assaut ont été diffusées par l’ISWAP, ndlr], elle a accusé de lourdes pertes à l’issue de 7 heures de combat. Selon un dernier bilan officiel, 98 de ses soldats y ont laissé la vie. « Le camp se trouve sur une île où tous les axes sont étroitement contrôlés par les éléments de Boko Haram, ils ont quitté les lieux de leur propre gré, sans qu’ils ne soient contraints ou mis en déroute par l’armée tchadienne », avait alors expliqué une source militaire.

« Bohoma restera comme une cicatrice pour l’armée », a par la suite confié un officier tchadien à l’AFP. Un constat partagé par le président Idriss Déby Itno, pour qui c’était la « première fois » qu’il « perdait autant d’hommes ». Puis, l’abattement a fait place à la détermination. « Je refuse cette défaite et la réplique doit être foudroyante », dira-t-il, plus tard, à la télévision.

Pour cela, M. Déby a signé un décret déclarant « zones de guerre » les départements de Fouli et de Kaya, situés dans la province du Lac, à la frontière avec le Niger et le Nigéria. Cette décision permet aux autorités militaires d’y interdire la circulation et d’effectuer des perquisitions, de jour comme de nuit.

Puis, la meilleure défense étant l’attaque, N’Djamena a visiblement l’intention d’aller chercher les jihadistes là où ils se trouvent, dans le cadre d’une opération appelée « Colère de Bohoma ». Ainsi, le 31 mars, le ministre tchadien de la Défense, le général Mahamat Abbali Salah, a annoncé le retour des troupes tchadiennes au Nigeria ainsi qu’au Niger.

« Nous avons l’accord des deux autres pays, le Niger et le Nigeria, et nous avons présentement des hommes dans tous ces pays », a en effet affirmé le général Salah. « Notre objectif est de nettoyer toute la zone insulaire », a-t-il ajouté, évoquant un déploiement de « cinq secteurs » sans pour autant le volume des troupes engagées.

Reste à voir les conséquences de cette opération sur les autres engagements militaires du Tchad, dans la mesure où N’Djamena avait annoncé l’envoi d’un bataillon dans le Liptako-Gourma, au Sahel, afin de renforcer les effectifs déployés par Barkhane, la Force conjointe du G5 Sahel et les armées locales contre l’État islamique au grand Sahara [EIGS], organisation qui a par ailleurs renforcé ses liens avec l’ISWAP.

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