L’Inde pourrait revoir sa doctrine nucléaire de « non-emploi en premier »

Après des essais qui, menés en 1998, révélèrent son potentiel nucléaire, New Delhi, via sa commission consultative pour la sécurité nationale, élabora une doctrine reposant sur le principe de non-emploi en premier de telles armes. Ainsi, l’Inde prit l’engagement de n’avoir recours à sa force de frappe que contre un ennemi qui l’attaquerait avec des armes nucléaires ou qui menacerait de les employer. Le Pakistan et la Chine étaient notamment visés.

En outre, il fut établi que la dissuasion indienne devait disposait des capacités nécessaires pour infliger, le cas échéant, des dommages irréparables à un éventuel agresseur. D’où le développement d’une « triade » nucléaire [aérienne, maritime et terrestre].

De son côté, le Pakistan, qui devint officiellement une puissance nucléaire en même temps que l’Inde, adopta une doctrine sensiblement différente.

« La doctrine nucléaire pakistanaise cible l’Inde comme unique objectif d’attaques nucléaires et se réserve la possibilité de l’utiliser en premier, et non à titre de représailles. Il s’agit d’une doctrine originale, qui ne vise pas à affirmer un statut de puissance », résume le site de la Documentation française.

Et d’ajouter : « Cette position est fondée sur le fait que les forces indiennes conventionnelles sont largement supérieures à celles du Pakistan et que l’étroitesse de son territoire le rend très vulnérable. Elle n’a toutefois jamais été formalisée dans un document, les responsables pakistanais se contentant de déclarations pour entretenir volontairement l’incertitude sur le recours à leurs armes de destruction massive. »

Et le Pakistan pourrait avoir recours à sa force de frappe dans plusieurs cas : une attaque contre son territoire, une destruction importante des forces pakistanaises, une déstabilisation du Pakistan par l’Inde.

Cela étant, en 2003, l’Inde amenda sa doctrine. Ainsi, elle fit savoir qu’elle se réservait le droit d’utiliser l’arme nucléaire en cas d’attaque biologique ou chimique. Depuis, il est prêté l’intention à New Delhi d’aller encore plus loin.

En 2017, lors de la Carnegie International Nuclear Policy Conference, a raconté Bruno Tertrais, de la Fondation pour le recherche stratégique [FRS], Vipin Narang, professeur à l’Institut de technologie du Massachusetts [MIT], avait analysé que l’Inde « envisageait désormais une frappe préemptive massive en premier contre les forces pakistanaises »

« Il ne s’agit ni d’une révélation spectaculaire ni d’un tournant majeur. Dès 2003 [réserves apportées au non-emploi en premier dans la doctrine officielle], New Delhi avait fait comprendre que l’Inde pouvait avoir une interprétation souple du non-emploi en premier. Par ailleurs, les dialogues stratégiques franco-indiens tenus en 2015 et 2016 ont confirmé l’intensité de la réflexion en Inde sur le sujet », a ensuite commenté M. Tertrais [.pdf].

Aussi, les sous-entendus de Rajnath Singh, le ministre indien de la Défense, après une visite à Pokhran, c’est à dire le site où l’Inde a testé ses armes nucléaires en 1998, ne sont pas surprenants.

Certes, le minsitre indien a rappelé que « Pokhran est le lieu témoin de la ferme détermination (du Premier ministre d’Atal Vajpayee) de faire de l’Inde une puissance nucléaire » qui « demeure toujours fortement attaché à la doctrine de ‘non recours en premier’ de l’arme nucléaire ». Et si « l’Inde a strictement adhéré à cette doctrine, ce qui se produira à l’avenir dépend des circonstances », a-t-il cependant ajouté.

« ‘Ce qui se passera à l’avenir dépend des circonstances’. Ne vous y trompez pas : c’est de loin la déclaration officielle la plus haute […] affirmant que l’Inde ne sera peut-être pas liée à une doctrine de non utilisation en premier de l’arme nucléaire », a commenté Vipin Narang, via Twitter.

« Le ministère de la Défense n’a rien officiellement annoncé, bien que des personnes au courant des événements récents aient déclaré que les commentaires de Singh ne constituaient pas un changement de politique. Ils ont toutefois noté que les doctrines de sécurité n’étaient pas figées et devaient refléter l’évolution de la situation », a rapporté, de son côté, le quotidien Hindustan Times.

Une révision de la doctrine nucléaire indienne figurait au programme du BJP, le parti nationaliste hindou actuellement au pouvoir. Mais le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait assuré qu’il ne la changerait pas quand il était candidat.

Quoi qu’il en soit, et comme l’avait déjà souligné Bruno Tertrais il y a deux ans, l’Inde serait ainsi tentée d’avoir « deux modes d’expression » de sa doctrine nucléaire : « l’un pour le Pakistan et l’autre pour la Chine, étant entendu que même si le nonemploi en premier restait théoriquement en vigueur pour la dissuasion vis-à-vis de Pékin, les interrogations d’ordre éthique (‘une démocratie doit-elle attendre d’être détruire pour frapper son adversaire?’) entendues depuis longtemps à Delhi sur le sujet demeureraient. »

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