L’armée de Terre est un peu interessée mais très préoccupée par le retour du service national

Quand il était en campagne électorale, le président Macron avait défendu l’idée de rétablir la conscription sous la forme d’un « service militaire universel » d’une durée de seulement un mois, afin de permettre aux jeunes gens âgés de plus de 18 ans de faire « l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine » et de « préparer leur entrée dans la vie professionnelle comme dans leur vie de citoyen. »

Depuis, cette proposition, malgré les coûts qu’elle suppose (15/20 milliards d’euros pour sa mise en place et à 2/3 milliards d’euros par an en rythme de croisière selon les chiffres avancés par M. Macron), a été confirmée par le Premier ministre, Édouard Philippe, lors de son discours de politique générale. À la différence près, cependant, qu’il n’est plus question de « service militaire » mais de « service national ».

Désormais, ce dossier est entre les mains de Genevièvre Darrieussecq, la secrétaire d’État auprès de la ministre de la Défense. Cela étant, ce « nouveau service national », pour reprendre l’expression de M. Philippe, suscite des réserves, résumées par un récent rapport du Sénat.

La première de toute est que ce retour de la conscription ne répond pas à un besoin militaire, son intérêt n’étant que social. Et si les armées sont effectivement concernées, il est estimé qu’elles devront fournir entre 16.000 à 18.000 encadrants, ce qui correspond à environ 21% des effectifs de la Force opérationnelle terrestre (FOT) de l’armée de Terre. Aussi, la remontée en puissance de cette dernière ne pourrait qu’être remise en cause.

Qui plus est, comme l’a souligné son chef d’état-major (CEMAT), le général Jean-Pierre Bosser, lors de son audition devant les députés de la commission de la Défense, le 19 juillet, il n’est actuellement pas possible de porter les effectifs de la FOT au-delà de 77.000 soldats (d’ailleurs, c’est ce qui explique la décision de recruter 11.000 hommes de plus en 2015 : il aurait été impossible de faire davantage, par manque de place dans casernes).

Lors de cette audition, le CEMAT a évidemment a été interrogé sur ce « nouveau service national ». Et pour lui, c’est un « sujet sensible » qui « intéresse » et « préoccupe » l’armée de Terre.

Autant le dire tout de suite, l’intérêt du général Bosser pour le retour de la conscription que veut le pouvoir politique ne saute pas aux yeux. Du point de vue militaire, s’entend.

« Nous démontrons, au travers du service militaire adapté (SMA) et du service militaire volontaire (SMV), notre capacité à remettre debout certains jeunes et à leur redonner de l’autonomie pour pouvoir prendre un nouveau départ », a dit le CEMAT. Donc, « qualitativement », l’armée de Terre a « les compétences et le savoir-faire pour aider » les jeunes.

Seulement, les choses se compliquent dès lors qu’il faudra accueillir et héberger 600.000 à 700.000 jeunes tous les ans. « C’est 10 fois la force opérationnelle terrestre! Que se passe-t-il lorsque l’on est percuté par dix fois son poids? Si l’on nous dit qu’en cinq ans, nous aurons à former 700 000 personnes, comment ferons-nous? », a demandé le général Bosser.

Pour le moment, tant que les modalités de ce « nouveau service national » ne sont pas définies, on navigue à vue. L’on ignore ce que sera sa finalité exacte et ce que feront les conscrits, si les armées seront les seules concernées ou non, etc… Quoi qu’il en soit, pour le général Bosser, « un partage des tâches serait judicieux ».

« Déterminer la finalité du dispositif envisagé permettra ensuite de savoir qui fait quoi et donc de connaître la part dévolue aux militaires. En fonction de cette définition, nous serons en mesure de vous répondre si nous savons faire ou non et si oui, ce que nous ne pourrons plus faire », a expliqué le CEMAT.

« Ensuite, nous saurons combien de temps il nous faudra pour accueillir 700 000 jeunes, pour les nourrir, les loger, les habiller… Je ne me prononce donc pas sur ce choix politique car il ne m’appartient pas. J’ai certes un avis en tant que citoyen mais la balle est vraiment dans votre camp », a-t-il ajouté.

Enfin, le général Bosser a évoqué un point qui pourrait être anecdotique mais, in fine, ne n’est pas du tout : le bénéfice que les armées pourraient tirer de ce retour du service national en terme de… popularité.

« Aujourd’hui, nous employons des engagés volontaires, qui acceptent l’entraînement et les contraintes du service. Avec un service national, on accueillerait des garçons et des filles qui, pour certains, viendraient chez nous un peu contraints et forcés. Pour ma part, je ne souhaite pas revenir à ce que l’on a pu connaître dans les années 1970 ou 1980… Quoi qu’il en soit, la popularité ou l’impopularité de notre armée aurait un impact sur notre capacité à encaisser ce choc dans notre écosystème », a-t-il fait valoir.

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