La question de la livraison de chars Leopard 2 à l’Ukraine fissure le gouvernement allemand

S’il n’est pas « escalatoire », s’il peut apporter un soutien efficace tout en prenant en considération le maintien en condition opérationnelle [MCO] et la formation et s’il n’affaiblit pas les capacités de l’armée de Terre, alors le don de chars Leclerc à l’Ukraine n’est « pas exclu », a dit le président Macron, à l’issue d’un conseil des ministres franco-allemand, tenu le 22 janvier afin de marquer le soixantième anniversaire du Traité de l’Élysée. Mais « cela s’apprécie en effet collectivement », a-t-il ajouté.

Une telle décision serait avant tout d’ordre politique… dans la mesure où un nombre limité de chars Leclerc [l’équivalent, sans doute, d’un escadron] ne permettrait à l’armée ukrainienne de faire la différence face aux forces russes… Et ils devraient « cohabiter » avec les 14 Challenger 2 donnés par le Royaume-Uni, ce qui, au niveau logistique et soutien compliquerait les choses.

D’où la pression mise sur l’Allemagne pour qu’elle autorise les pays à livrer à Kiev une partie des chars Leopard 2 [de conception allemande, ndlr] qu’ils possèdent. Ce qu’elle refuse… Du moins tant que les États-Unis ne fourniront pas des M1 Abrams à l’armée ukrainienne. La réunion de Ramstein, le 20 janvier, aurait pu permettre de faire avancer ce dossier. Mais il n’en a rien été. Ce qui a d’ailleurs valu au chancelier allemand, Olaf Scholz, une nouvelle salve de critiques.

Ainsi, le 21 janvier, invoquant sa « responsabilité particulière » en tant que « première puissance européenne », les pays baltes ont de nouveau mis la pression sur l’Allemagne en l’exhortant à livrer « dès maintenant » des chars à l’Ukraine pour l’aider à mettre en échec « l’agression russe ».

Puis la Pologne, qui entend céder 14 de ses Leopard 2PL à l’armée ukrainienne est aussi montée au créneau, par la voix de Mateusz Morawiecki, son Premier ministre.

« L’attitude de l’Allemagne est inacceptable. Cela fait presque un an que la guerre a commencé. Des innocents meurent chaque jour. Les bombes russes font des ravages dans les villes ukrainiennes. Des objets civils sont attaqués, des femmes et des enfants sont assassinés », a-t-il déclaré. Aussi, a-t-il dit attendre une « déclaraion claire » de Berlin pour autoriser le transfert des Leopard 2. Quelques jours plus tôt, il avait affirmé que Varsovie pourrait se passer d’une autorisation allemande pour livrer ses chars à l’Ukraine si le blocage persistait.

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a jeté un pavé dans la mare en déclarant, à l’antenne de chaîne d’information française LCI, que Berlin ne s’opposerait pas à la livraison de Leopard 2 polonais à l’Ukraine. « Pour l’instant, la question n’a pas été posée, mais, si on nous la posait, nous ne nous y opposerions pas », a-t-elle précisément dit.

La déclaration de Mme Baerbock n’est pas surprenante dans la mesure où elle défend la cession de Leopard 2 à Kiev depuis maintenant plusieurs mois. Quitte à s’opposer à M. Scholz… et à faire tanguer la coalition gouvernementale à laquelle elle appartient.

En effet, le nouveau ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a rappelé la ligne à tenir, lors d’un entretien diffusé plus tard par la chaîne ARD. « Il ne s’agit pas seulement de livrer ou de ne pas livrer ces chars, mais aussi d’en peser les conséquences », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Il est dans l’intérêt de l’Allemagne et de l’Europe d’agir avec prudence et de manière équilibrée, et non dans la hâter ou à la légère ».

Cela étant, une des clés de ce dossier est probablement… industrielle. Actuellement, une douzaine de pays européens possèdent des Leopard 2. Certain d’entre-eux soutiennent activement l’Ukraine, comme la Suède, la Finlande, le Danemark et, bien évidemment, la Pologne. S’ils se séparent de leurs chars de facture allemande, ils auront à les remplacer rapidement, si possible à des coûts maîtrisés. Or, en l’état actuel des choses, il est peu probable que l’industrie allemande [et même européenne] soit en mesure de répondre à une telle demande. Ce qui n’est pas le cas des États-Unis et de la Corée du Sud, comme l’ont montré les récentes commandes polonaises pour des chars M1 Abrams et K-2PL « Black Panther ».

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