Une invasion de Taïwan par la Chine pourrait se solder par une victoire à la Pyrrhus pour les États-Unis

Tenter de déterminer l’issue d’une guerre potentielle n’est pas aisé dans la mesure où il faut considérer une multitude de paramètres, comme les capacités exactes, les doctrines, les forces et les faiblesses des belligérants. Ce qui explique, d’ailleurs, que les simulations de ce genre [les « jeux de guerre »] soient généralement classifiées.

En outre, une limite à ce genre d’exercice est que certains facteurs sont inconnus, comme les profils de ceux qui planifieront et conduiront les opérations ou comme les conditions météorologique au moment de l’offensive. « S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde », a écrit Victor Hugo…

Cela étant, un « jeu de guerre » peut donner une idée de ce qu’il pourrait se passer en cas de conflit… Et donc de s’y préparer. Ces dernières années, des centres de réflexion américains se sont intéressés aux conséquences d’une probable invasion de Taïwan par la Chine. Et, en 2020, la Rand Corporation arriva à la conclusion que les forces américaines seraient « souvent » tenues en échec par l’Armée populaire de libération [APL] dans différentes simulations envisagées.

Sans entrer dans les détails, l’un des participants à ces « jeux de guerre », David Ochmanek, un ancien haut responsable du Pentagone, avaient alors expliqué à NBC News que, comme durant la bataille navale de Tshushima remportée par le Japon en 1905 , la marine chinoise aurait l’avantage d’opérer près de ses bases. En outre, et selon les scénarios joués, la force aérienne taïwanaise pourrait être anéantie en un rien de temps tandis que les navires et avions américains seraient tenus à distance par « l’arsenal chinois de missiles à longue portée ».

Deux ans plus tard, le Center for Strategic and International Studies s’est livré au même exercice, avec l’ambition de mener la « simulation la plus complète jamais menée » sur une possible attaque de Taïwan par la Chine en 2026. Au total, 24 scénarios ont été joués, avec l’objectif de répondre à deux questions : une invasion chinoise peut-être réussir? Et quel serait le coût d’une guerre? Les résultats ont été détaillés dans un rapport, intitulé « La première bataille de la prochaine guerre » [.PDF].

Les auteurs de cette simulation sont arrivés à deux conclusions. La première est que, dans la plupart des cas, l’APL ne devrait pas parvenir à ses fins et à occuper Taïwan… mais à la condition que les États-Unis et le Japon viennent à la rescousse de l’île. La seconde est que le coût d’une guerre serait très élevé pour toutes les forces impliquées.

Ainsi, selon le document, les États-Unis pourraient perdre entre dix et vingt navires de surface, dont deux porte-avions, ainsi que 200 à 500 aéronefs. Quant aux pertes humaines, et selon les scénarios, elles dépasseraient les 3200 militaires tués en trois semaines. Le Japon ne s’en sortirait guère mieux, avec cent avions et une vingtaine de navires mis hors de combat. Et les bases américaines qu’il abrite ne manqueraient pas d’être attaquées.

Quant à l’APL, le rapport estime qu’elle pourrait perdre jusqu’à 138 navires – dont le noyau dur de sa flotte d’assaut amphibie -, une centaine d’avions de combat et 10’000 soldats tués au combat, [sans compter ceux qui seraient faits prisonniers à Taïwan, dont la flotte de surface et l’aviation seraient anéanties rapidement. En outre, les dommages infligés à l’île ne pourrait qu’être considérables, avec une économie dévastée.

Quoi qu’il en soit, un échec d’une invasion chinoise de Taïwan serait une une victoire à Pyrrhus pour les États-Unis en raison des pertes subies, lesquelles « nuiraient » à leur position mondiale « pendant de nombreuses années », estime l’étude du CSIS.

Celle-ci souligne par ailleurs qu’il ne peut y avoir de « modèle ukrainien » pour Taiwan… C’est à dire que Taipei ne bénéficiera pas d’une aide militaire occidentale massive comme Kiev.

« Une fois la guerre commencée, il sera impossible d’envoyer des troupes et des équipements à Taïwan. C’est donc une situation très différente de l’Ukraine, où les les États-Unis et leurs alliés ont pu livrer une aide continue », a expliqué Mark Cancian, l’un des auteurs de cette étude. En clair, Taipei doit renforcer ses capacités militaires sans attendre… Sauf que les commandes passées auprès de l’industrie américaine de l’armement peinent actuellement à être honorées, guerre en Ukraine oblige.

Reste que le rapport du CSIS fait plusieurs recommandations, dont renforcer les capacités défensives des bases américaines au Japon et de celle de Guam contre les missiles chinois, miser sur des navires plus petits mais plus robustes, donner la priorité aux sous-marins ainsi qu’aux bombardiers, produire des avions de combat moins chers et en plus grand nombre, etc.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]