Berlin estime que la Russie pourrait encourager une nouvelle déstabilisation de la Bosnie-Herzégovine

Depuis les accords de Dayton, signés en décembre 1995 afin de mettre fin à la guerre entre les différentes communautés qui la composent, la Bosnie-Herzégovine est organisée selon deux entités autonomes, à savoir la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska [RS ou République serbe de Bosnie], qui sont chapeautées par une présidence collégiale, assurée à tour de rôle par trois reponsables élus au suffrage direct, dont un Serbe, un Croate et un Bosniaque. En outre, ces deux entités ont des institutions communes.

Pour autant, le pays est régulièrement travaillé par des tensions, comme en témoigne la candidature de Sarajevo à l’Otan. Si la Fédération croato-bosniaque y est largement favorable, ce n’est pas le cas de la Republika Srpska, qui cultive des liens étroits avec Belgrade et Moscou.

En outre, les conséquences du conflit qui déchira le pays dans les années 1990 se font encore sentir. Ainsi, un loi interdisant l’apologie des crimes et des criminels de guerre condamnés, votée, l’an passé, à la demande du Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine, n’est pas acceptée non seulement par les Serbes mais aussi par les Croates.

« Cette loi contribue à légitimer les accusations fréquentes du camp bosniaque que la RS est une création ‘génocidaire’ et qu’elle doit être supprimée. La Bosnie est vue par l’OHR comme un protectorat. Maintenant, on exige un retour à Dayton et le respect de la Constitution, ce qui implique que l’on rende aux entités nos prérogatives », a ainsi expliqué Snezana Novakovic-Bursac, le président du groupe parlementaire de l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants [SNSD] à l’assemblée de la RS et dont les propos ont récemment été rapportés par Le Figaro.

D’où l’intention de la RS de récupérer les compétences transférées au fil du temps au pouvoir central… et de quitter les trois institutions clés que sont l’armée, la justice et les impôts. Ce qui est perçu comme une volonté de « sécession rampante ».

Dans cette affaire, l’homme fort de la Republika Srpska, Milorad Dodik, peut se prévaloir du soutien de Belgrade et de… Zagreb. « Tous les génocides ne sont pas équivalents et la loi imposée par l’OHR sur cette question est coloniale », a en effet déclaré Zoran Milanovic, le président de la Croatie. Et Dragan Čović, chef du parti nationaliste croate et ancien membre de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, est sur la même ligne. En outre, celui-ci demande une réforme de la loi électorale afin de renforcer le caractère ethnique du vote, avant les élections prévues en octobre prochain.

Quoi qu’il en soit, le feu couve… avec quelques signaux faibles suggérant une reprise du conflit éteint il y a près de 27 ans. Et cela depuis quelques temps déjà. Ainsi, la Revue stratégique publiée en 2017 [et actualisée en 2021], estime que, en général, les Balkans constituent un « enjeu majeur » pour la sécurité de l’Europe, cette région, divisée par son histoire et des « trajectoires économiques très contrastées » souffrant de « faiblesses » susceptibles d’être « utilisées à des fins de déstabilisation par des mouvements radicaux [notamment jihadistes], des groupes criminels ou des États tiers ». En novembre 2019, le président Macron s’était fait plus précis en assimilant la Bosnie-Herzégovine à une « bombe à retardement qui fait tic-tac à côté de la Croatie qui est confrontée au problème du retour de jihadistes ».

En outre, la Russie et la Chine suivent la situation de près. D’ailleurs, avant la président française de l’Union européenne, M. Macron avait évoqué un réengagement dans les Balkans occidentaux pour faire face aux influences « étrangères ». Et donc au risque d’une déstabilisation, notamment de la Bosnie-Herzégovine. Une préoccupation partagée par Josep Borrell, le Haut-représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Ainsi, dès le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le chef de la diplomatie européenne a annoncé que l’opération EUFOR Althea, conduite sous l’égide de l’UE afin de veiller au respect des accords de Dayton, allait être renforcée par l’arrivée de 500 militaires supplémentaires en provenance de l’Autriche, de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Slovaquie. De son côté, la France a envoyé des Rafale Marine du porte-avions Charles de Gaulle patrouiller dans les cieux bosniens.

« Nous avons renforcé notre capacité à réagir rapidement en cas de crise […] Nous continuerons à dissuader ceux qui se sentiraient encouragés à entreprendre des actions de déstabilisation » du pays, a résumé M. Borrell, lors d’une visite aux militaire d’Eufor Althea, près de Sarajevo, en mars dernier.

Signe, sans doute, qu’il y a un risque sérieux de voir la situation se dégrader, Berlin a fait part de son intention de déployer à nouveau un contingent de la Bundeswehr, fort d’une cinquantaine de soldats en Bosnie-Herzégovine, afin d’y renforcer Eufor Althea. Ce qui ne s’était plus vu depuis plus de dix ans.

« Compte tenu des tensions politiques internes en Bosnie-Herzégovine, un engagement allemand renforcé est un engagement clair en faveur d’une stabilisation durable » du pays, a fait valoir Steffen Hebstreit, le porte-parole du gouvernement allemand, le 15 juin.

Dans la demande de mandat pour ce déploiement qu’il a transmis au Bundestag [chambre basse du Parlement], l’exécutif allemand est plus précis. « L’évolution politique actuelle en Bosnie-Herzégovine est très préoccupante. Les divisions ethniques façonnent toujours la vie quotidienne, dominent la politique et bloquent les processus de progrès et de réforme. La rhétorique nationaliste et incendiaire fait à nouveau partie du discours politique », relève-t-il. Mais ce que redoute surtout Berlin, c’est de voir la Russie souffler sur les braises.

« Il existe actuellement un danger que la guerre d’agression russe contre l’Ukraine et, indirectement, la confrontation entre les valeurs des États occidentaux et celles de la Russie puissent être utilisées par la partie russe comme catalyseur d’une nouvelle déstabilisation de la Bosnie Herzégovine. En particulier, les liens étroits du gouvernement serbe avec la Russie et son influence sur la Republika Srpska, alimentent ces craintes », fait valoir le gouvernement allemand.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]