Le mouvement taleb refuse le maintien d’un contingent turc pour protéger l’aéroport de Kaboul

En janvier, alors tout juste nommé à la tête du département d’État, Antony Blinken fit part de son intention de réexaminer l’accord de Doha qui, signé le 29 février 2020 par les États-Unis et le mouvement taleb afghan, ouvrait alors la voie à un retrait d’Afghanistan des troupes américaines. En contrepartie, les Taliban avaient pris l’engagement d’interdire l’implantation de tout groupe terroriste dans les zones passées sous leur contrôle et d’engager des négociations de paix avec le gouvernement de Kaboul.

En outre, M. Blinken avait également assuré que les États-Unis maitiendraient dans la région une « certaine capacité » afin d’être en mesure de « faire face à toute résurgence du terrorisme, la raison même qui nous a fait intervenir à l’origine ».

Finalement, en avril, le président Biden a poursuivi la politique de son prédécesseur, Donald Trump, en annonçant que le retrait d’Afghanistan des troupes américaines serait terminé d’ici le 11 septembre 2021. Cette décision supposait également la fin de la mission Resolute Support, conduite par l’Otan afin de former et d’entraîner les forces de sécurité afghanes.

Avec la perspective du départ des forces internationales, le nombre des violences, déjà à un niveau élevé, s’est accru significativement. Dans un rapport remis en juin au Conseil de sécurité, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a fait état de 6’827 « atteintes à la sécurité » entre le 12 février et le 15 mai 2021, soit une hausse de 26,3% par rapport à la même période en 2020. Et, dans le même temps, le nombre d’attaques commises avec des engins explosifs improvisées [EEI ou IED] a bondi de 46,9%.

Quoi qu’il en soit, le départ des forces américaines et de celles de l’Otan s’est accéléré au cours de ces derniers semaines. Ainsi, les contingents allemands et italiens ont quitté l’Afghanistan. Et les 750 soldats britanniques ont, pour la plupart, regagné le Royaume-Uni. De son côté, le Pentagone a indiqué qu’il avait déjà accompli son retrait à plus de 90%, notamment après avoir évacué la base aérienne de Bagram en toute discrétion, au point de prendre les autorités afghanes par surprise.

« L’heure exacte du départ n’a pas été révélée pour des questions de sécurité des opérations. […] Nous avons estimé en général qu’il valait mieux garder cette information dans un cercle aussi étroit que possible » car le retrait « doit se faire de façon sûre et ordonnée », a expliqué, plus tard, John Kirby, le porte-parole du Pentagone. Et d’insister : « Cela ne signifie pas que nous avons confiance ou non en nos partenaires afghans. Cela souligne le fait que nous devons prendre en compte que ce retrait pourrait être contesté par les taliban ».

Ce départ de Bagram signifie aussi que, désormais, l’Armée nationale afghane ne peut plus compter sur ses propres moyens pour assurer un appui aérien à ses troupes au contact avec les insurgés. Qui plus est, le soutien technique à la flotte aérienne afghane, jusqu’alors fourni par les États-Unis, est désormais incertain…

« L’appui aérien fourni par les forces de la coalition a été essentiel concernant les opérations au sol. Il reste à voir comment les forces afghanes s’en sortiront sans cet appui. […] Les forces afghanes restent tributaires de l’assistance technique et financière de l’étranger. Le retrait militaire international futur, avant un accord de paix définitif entre les Taliban et le gouvernement afghan, mettra les forces afghanes en difficulté, en limitant les opérations aériennes, et entraînera des capacités réduites en drones, en radars, en surveillance et en soutien logistique et d’artillerie et une perturbation des activités de formation », a d’ailleurs prévenu l’Équipe de surveillance du comité des sanctions des Nations unies, dans son dernier rapport [.pdf].

Et, a priori, cela s’est avéré juste… En effet, si les forces afghanes ont réussi à mettre en échec, pour le moment, une offensive contre Qala-e Naw, la capitale de la province de Badghis, le mouvement taleb a dit contrôler 85% du territoire afghane au 9 juillet. Dans le nord du pays, les soldats afghans n’ont rien pu faire pour empêcher la prise de plusieurs postes frontaliers avec le Tadjikistan, où un millier d’entre eux ont trouvé refuge. Cette situation a conduit Douchambé à sonner le rappel de 20’000 réservistes pour sécuriser la frontière.

Dans la province de Hérat [sud-ouest de l’Afghanistan], la tendance est la même. La semaine passée, les Taliban ont investi Islam Qala, un important poste-frontière avec l’Iran. Un autre, celui de Torghundi frontalier avec le Tadjikistan, est également tombé. Cette évolution, conjuguée avec la faiblesse des forces afghanes, est par ailleurs susceptible de faire sortir du bois les chefs de guerre. L’un d’eux, Ismail Khan, qui s’était illustré durant l’occupation soviétique puis contre les Taliban avant l’intervention américaine, a mobilisé plusieurs milliers de miliciens pour « défendre » la capitale provinciale.

Cela étant, les gains territoriaux du mouvement taleb sont de nature à favoriser le retour en Afghanistan d’al-Qaïda ainsi que celui d’autres organisations terroristes lui ayant fait allégeance.

« Les Taliban et al-Qaïda restent étroitement alignés et ne manifestent aucune velléité de rompre les liens. Les États Membres ne signalent aucun changement concret, au niveau du resserrement de ces relations, à la suite d’alliances matrimoniales et de combats communs, renforcés par des liens de deuxième génération », a en effet souligné l’Équipe de surveillance de l’ONU, avant de préciser que l’organisation jihadiste, invitée à faire « profil bas » pour le moment, est désormais présente dans « au moins quinze provinces afghanes », principalement dans celles de l’est, du sud et du sud-est.

Et d’ajouter : « On estime que la propre stratégie d’Al-Qaida à court terme est de conserver son sanctuaire traditionnel en Afghanistan en ce qui concerne sa direction centrale. L’Équipe de surveillance prend note des évaluations selon lesquelles la stratégie centrale d’Al-Qaïda est la patience, pendant un bout de temps, avant de chercher de nouveau à élaborer des plans d’attaque contre des cibles internationale ».

Accusée par les États-Unis d’avoir soutenu le mouvement taleb durant ces dernières années, la Russie s’inquiète de l’évolution de la situation, laquelle peut conduire, avec le retour des groupes jihadistes en Afghanistan, à une déstabilisation de son flanc sud et de sa sphére d’influence. Et le Tadjikistan passe pour être le maillon le plus fragile de la chaîne…

« Nous n’avons aucunement l’intention de violer les frontières des États d’Asie centrale, et nous voulons également vous assurer que nous ferons tout ce que nous pourrons pour que l’EI [État ismamique] ne s’installe jamais en Afghanistan », a tenu à rassurer Shahabuddin Delawar, le chef d’une délégation du mouvement taleb invités à Moscou, le 8 juillet.

Enfin, Ankara redoute l’arrivée sur son sol d’une nouvelle vague de réfugiés en provenance d’Afghanistan. D’après le média en ligne turc T24, entre 500 et 1’000 ressortissants afghans entreraient, chaque jour, en Turquie, après avoir traversé l’Iran.

« Avec l’accélération du retrait des troupes américaines et les combats avec les Taliban, qui ont déjà déplacé 223 000 personnes selon des chiffres de l’ONU, on peut s’attendre à une vague de migrants en provenance d’Afghanistan, avec cette fois davantage d’urbains, de membres des classes moyennes, de fonctionnaires et d’étudiants », explique T24.

D’où, sans doute, la raison pour laquelle la Turquie a accepté, à la demande des États-Unis, de maintenir des troupes en Afghanistan après le 11 septembre prochain, notamment pour sécuriser l’aéroport de Kaboul. Mais pas seulement. En effet, lors du dernier sommet de l’Otan, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, a souligné l’importance du « rôle clé » que la Turquie pourrait jouer dans l’avenir de ce pays.

Jusqu’alors, dans le cadre des opérations de l’Otan en Afghanistan, le contingent turc – majoritairement musulman – a été relativement épargné par les attaques des insurgés. Seulement, il n’est pas certain que cela soit encore le cas à l’avenir.

« Si les forces étrangères veulent maintenir une présence militaire ici, au nom de la sécurité des aéroports, les Afghans ne le permettront pas et les considéreront comme des envahisseurs, que ce soit la Turquie ou tout autre pays », avait en effet déjà averti Zabihullah Mujahid, le porte-parole du mouvement taleb, en juin dernier.

Un avertissement encore répété, ce 13 juillet. « La décision des dirigeants turcs n’est pas judicieuse, c’est une violation de notre souveraineté et de notre intégrité territoriale », ont de nouveau fait valoir les Taliban via un communiqué.

« Nous considérons le maintien de forces étrangères dans notre patrie, par quelque pays que ce soit et quel que soit le prétexte, comme de l’occupation et les envahisseurs seront traités comme tels » et « si les autorités turques ne reconsidèrent pas leur décision de continuer à occuper notre pays, » [nous] « leur résisteront, comme nous avons résisté à 20 ans d’occupation » a prévenu le mouvement taleb.

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