Face à la montée des périls, l’Institut Montaigne propose de revoir le format des armées à la hausse
Centre de réflexion s’intéressant aux politiques publiques françaises et européennes, l’Institut Montaigne vient de publier un rapport sur la politique de défense, avec les contributions de plusieurs personnalités, dont l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, l’essayiste libéral Nicolas Baverez, l’amiral [2S] Édouard Guillaud [ex-CEMA], Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [|IRSEM] ou encore Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS].
Soulignant que des crises de nature diverse s’enchaînent et s’accélèrent depuis une vingtaine d’années, ce rapport ne peut faire que le même constat que celui établi par la Revue stratégique, laquelle a fait l’objet d’une actualisation le mois dernier. Terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, durcissement de la compétition entre puissances, politique du fait accompli, extension des domaines de conflictualité… Tels sont les paramètres du contexte géostatrégique actuel.
« À proximité géographique de la France, le contexte récent a été marqué par une dégradation sécuritaire, à laquelle l’Union européenne [UE] ne répond guère », déplore par ailleurs le rapport.
Or, affirme ce dernier, la « France et l’Europe sont en première ligne ». La première, de par ses « valeurs, son histoire, ses engagements au Levant ou au Sahel, représente une cible prioritaire pour les jihadistes ou pour la démocrature islamique turque » alors même qu’elle se trouve « affaiblie par son décrochage économique, par la forte progression de la dette publique, par les tensions qui traversent la Nation ainsi que la défiance qui se répand envers les institutions. »
Quant au « grand marché européen », il constitue l’un des enjeux de la guerre commerciale et technologique entre les États-Unis et
la Chine », avancent les auteurs du rapport. Et, poursuivent-ils, ‘l’Union européenne est cernée par les crises, désignée comme un
ennemi par les djihadistes, mise sous pression et menacée par la Russie et la Turquie. Créée autour du droit et du marché, elle n’a d’autre choix de se redéfinir en termes de souveraineté et de sécurité, au moment où les États-Unis se replient sur eux-mêmes et poursuivent leur pivot vers l’Asie. L’Europe n’a pas d’alternative à l’affirmation de son autonomie. »
À cela viennent s’ajouter des « menaces supplémentaires contre la souveraineté ». Ainsi, le rapport rappelle que la France et l’UE sont « aujourd’hui dépendantes de puissances étrangères dans une série de secteurs économiques essentiels », comme celui du numérique, où elles « demeurent dans un état de vassalité technologique vis-à-vis des acteurs américains et même israéliens ».
Face à des menaces qui se précisent, il est donc plus que nécessaire de renforcer les armées françaises, affaiblies par des réformes hasardeuses conduites ces dernières années. Ce qui ne sera pas simple au regard du contexte économique, plombé par un PIB en net recul sous l’effet de la crise sanitaire et un endettement qui dépasse les 120% de ce même PIB. Pour autant, au regard de la montée des périls, le rapport insiste pour ne pas baisser la garde et exécuter à l’euro près la Loi de programmation militaire en cours. Mieux : il laisse entendre qu’il faudrait même accentuer l’effort de défense afin de redonner aux forces françaises la masse qu’elles ont perdue lors de la précédente décennie.
Justement, en premier lieu, l’Institut Montaigne parle de revenir sur certaines réformes, comme la Révision générale des politiques publiques [RGPP], laquelle avait remis en cause l’organisation du soutien des forces. « Il s’agit de revenir à l’esprit du rapport parlementaire Bouchard qui, après analyse des causes de la défaite de 1870, recommandait de rétablir la pleine autorité des chefs militaires sur le soutien et la logistique », estime-t-il.
Aussi recommande-t-il « d’aller vers une organisation militaire spécifique et mieux intégrée » afin de « consolider la singularité militaire pour forger la résilience » et de « remettre les soutiens dans la main des chefs organiques. »
Le rapport insiste également sur l’amélioration de la réactivité des forces françaises « face à la volatilité du contexte stratégique », en mettant l’accent sur la préparation opérationnelle pour atteindre les normes Otan en la matière. À ce titre, il propose de lancer un « un cycle d’entraînement interarmées correspondant à un scénario d’engagement majeur. » Et cette réactivité serait par ailleurs renforcée par le prépositionnement de moyens pour lesquels la France est dépendante d’acteurs tiers pour leur projection [blindés Griffon et Jaguar] dans les territoires d’outre-Mer, comme par exemple en Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, avec des menaces qui tendent à s’accroître et à se préciser, la question de la « masse », évoquée par la Revue stratégique actualisée, se pose immanquablement.
« Le nombre des équipements a baissé et le remplacement par des équipements plus performants mais en nombre limité pose des difficultés [frégates, blindés, avions de combat, etc.] face à des besoins croissants », relève le rapport.
« Concernant les frégates de premier rang, la Marine est ‘au bout’ de ses capacités avec une multiplication des besoins de présence permanente et un nombre insuffisant de bâtiments avec seulement 15 frégates de premier rang », prend-il comme exemple. Même chose pour les blindés médians [« La cible pour 2030 est fixée à 300 Jaguar alors que nous disposions en 2008 de 452 véhicules blindés médians et que les théâtres d’opérations se sont multipliés depuis »] et l’aviation de combat, l’armée de l’Air & de l’Espace devant faire avec 185 avions de combat à l’horizon 2030 contre… 420 en 2008.
Aussi, l’Institut Montaigne plaide pour « ajuster les capacités et le format pour plus d’impact et d’endurance ». Et si le renouvellement des moyens de la dissuasion nucléaire fait consensus, il faudrait établir quatre priorités : combler en urgence les lacunes qui limitent la disponibilité des moyens existants, notamment les stocks stratégiques [munitions, pièces détachées pour la maintenance, etc], s’adapter aux nouveaux champs et modes de conflictualité, réparer et moderniser les segments plus lourds et modifier le format de la réserve, à qui pourrait revenir de « remplir de manière autonome le contrat protection du territoire national à 10.000 hommes. »