Depuis le lancement de la phase 2 de l’opération Sophia, les passeurs de migrants restent dans les eaux libyennes

migrants-20150906

Lancée en juin 2015 par l’Union européenne, l’opération navale EUNAVFOR MED, baptisée depuis Sophia, vise à casser le modèle économique des passeurs de migrants établis sur les côtes libyennes.

Cette opération compte trois phases. La première, désormais terminée, a consisté à collecter des renseignements afin d’identifier les réseaux de trafiquants. Autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies (résolution 2240), la seconde a débuté en octobre dernier. Elle prévoit, dans la limite du droit maritime international, l’arraisonnement des navires servant aux passeurs ainsi que l’arrestation de ces derniers… sous réserves qu’ils soient interceptés dans les eaux internationales. Ainsi, 53 ont déjà été remis aux autorités italiennes.

Quant à la dernière phase, elle est, du moins pour le moment, hypothétique car elle consisterait à intervenir contre les trafiquants sur le littoral libyen. Or, pour cela, il faudrait l’autorisation d’un gouvernement d’union nationale installé à Tripoli et une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, basée sur celle qui fut adoptée en 2008 pour lutter contre la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique.

En attendant, les trafiquants ont vite pris la mesure de la nouvelle situation créée par le passage à la phase 2 de l’opération Sophia. Lors d’une audition au Sénat (dont le compte-rendu a récemment été rendu public), le contre-amiral Hervé Bléjean, commandant adjoint de l’opération Sophia, a expliqué que les passeurs font en sorte de déclencher des opérations de sauvetage de migrants à la limite des eaux internationales.

« La majorité des départs se font depuis l’ouest de la Libye, de part et d’autre de Tripoli. Le sauvetage des migrants se fait à 90 % dans une zone qui touche les eaux territoriales libyennes. (…) Les passeurs n’organisent plus désormais de traversée jusqu’en Italie, mais une opération massive de sauvetage en mer, qui leur évite d’avoir à fournir suffisamment d’essence ou de nourriture pour gagner l’Italie », a en effet affirmé le contre-amiral Bléjean.

En outre, a-t-il continué, des passeurs pouvaient escorter les embarcations avec 450 migrants à bord pour une capacité de 10 ou 20 personnes, « jusqu’au lieu du sauvetage pour communiquer leur position exacte aux sauveteurs ». Or, a précisé le contre-amiral Bléjean, depuis le lancement de la phase 2, ces escortes « ne quittent plus les eaux territoriales de la Libye » alors qu’elles « s’aventuraient parfois dans les eaux internationales ».

Cela étant, même si un gouvernement d’union nationale voit le jour en Libye, il n’est pas acquis qu’il soit enclin à autoriser une intervention des forces européennes sur son territoire. Et cela pour une raison simple : les trafics liés aux migrants représentent 30 à 35% des revenus du pays. Pour certaines localités, a indiqué l’officier français, ils constituent même la « moitié » de leur budget. Et cela d’autant plus que ce « commerce » est très lucratif : un bateau en bois acheté 100.000 euros en rapporte 400.000 dès le premier voyage. « Il faudra proposer des économies de substitution pour satisfaire ceux qui auront perdu cette manne. D’autant que lorsque l’on brasse autant d’argent, tout le monde en bénéficie d’une manière ou d’une autre… », a estimé le contre-amiral Bléjean.

En outre, si la force navale européenne est autorisée à opérer au plus près des côtes libyennes, d’autres problèmes risquent d’apparaître. « Il faudra être attentif au positionnement de nos navires car en étant plus visibles nous risquerions ainsi d’attirer les migrants qui préfèreraient nous rejoindre directement plutôt que de faire appel à des passeurs. Il faudra également être attentif à la menace générale et en particulier à celle que représente Daech, présent sur 200 kilomètres de côtes », a ainsi expliqué le commandant en second de l’opération Sophia.

Enfin, s’agissant de l’origine des migrants passés par la Libye, le contre-amiral Bléjean a précisé que, en 2015, elle a été « issue presque exclusivement d’Afrique, pour un tiers d’Afrique de l’Est, surtout de Somalie et d’Érythrée, et pour deux tiers d’Afrique de l’Ouest. »

« Les migrants venus d’Afrique de l’Est sont surtout des réfugiés, ceux qui arrivent de l’Ouest des migrants économiques », a-t-il ajouté.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]