L’opération Sentinelle peut susciter un risque de « lassitude grave » chez les militaires

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Lancée en janvier 2015, suite aux attentats commis à Paris, l’opération intérieure (OPINT) Sentinelle s’inscrit désormais dans la durée, ce qui a justifié en partie la révision à la hausse des effectifs de la Force opérationnelle terrestre (FOT), ces derniers passant de 66.000 à 77.000 soldats, à l’occasion de l’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM).

Cependant, cette OPINT pose toute une série de questions, évoquée dans le rapport rendu par le député François Lamy, dans le cadre de l’examen des crédits alloués en 2016 aux forces armées.

La première, avancée par le parlementaire, est de savoir si une telle opération, qui consiste à renforcer le plan Vigipirate, « relève du métier de soldat » alors qu’il s’agit, comme le dit le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, de combattre « le même ennemi »  aussi bien sur le territoire national que sur un théâtre extérieur.

Selon les propos tenus à M. Lamy par le général Michel Pattin, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale et Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique à la direction générale de la police nationale, ces missions intérieures « relèvent par nature avant tout des activités des forces mobiles de gendarmerie et de police ».

Seulement, comme l’a expliqué le général Pattin, avec les réductions d’effectifs des années 2010 et 2011, la « Gendarmerie nationale n’a plus de réserves : tout le monde est engagé en permanence ». Et sur les 108 escadrons de gendarmes mobiles, seulement 34 ont pu être engagés en janvier 2015. Et « même en consentant des surcharges d’engagement et des renoncements à certaines activités, elle ne peut guère en déployer aujourd’hui que dix et demi dans le cadre du plan Vigipirate, l’actualité appelant d’autres engagements. » Le constat est quasiment identique pour la Police.

Conclusion de M. Lamy : « Sans recours aux armées, la mise en œuvre de Vigipirate alerte attentat ne serait pas possible ».

Cela étant, l’armée de Terre a été davantage sollicitée que les autres forces pour déployer des soldats sur les lieux considérés sensibles. Et pour engager plusieurs milliers d’hommes sur le territoire national, elle n’a pas eu d’autre solution que de faire de la préparation opérationnelle des forces une « variable d’ajustement ».

« Le rythme de passage des unités dans les centres d’entraînement a dû être considérablement revu à la baisse : 70 % des rotations dans les centres d’entraînement spécifiques ‒ comme le centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) et le centre d’entraînement au combat (CENTAC) ‒ ont été annulés en 2015 », écrit ainsi le rapporteur.

Et de relever, entre autres, que « la préparation opérationnelle ‘métier’ (PO-M) connaît elle aussi un ralentissement, faute de temps disponible et faute de certains moyens ‒ les matériels de transmissions et certains véhicules tactiques étant utilisés pour l’opération Sentinelle », ce qui aura un « impact sur la performance des activités opérationnelles ».

« L’opération Sentinelle a donc pour conséquence une diminution nette du nombre de jours de préparation opérationnelle en 2015 et jusqu’en 2017. Alors que l’objectif fixé par la LPM 2014-2019 s’élève à 90 JPO par homme et par an, et que la loi de finances pour 2015 ne permettait d’en financer que 83, la moyenne s’établira, selon les unités, entre 51 et 64 JPO », souligne M. Lamy.

L’opération Sentinelle a également des répercussions sur l’échelon national d’urgence, c’est à dire le dispositif d’alerte qui doit permettre de projeter des unités à très court préavis sur un théâtre extérieur, comme cela a été le cas au Mali, en janvier 2013.

Or, d’après M. Lamy, « l’échelon national d’urgence a servi de variable d’ajustement en vue de la constitution de la force Sentinelle ». Et même encore aujourd’hui, tant que la FOT n’aura pas été renforcée tel que prévu, il « serait déraisonnable d’envisager de déployer une OPEX supplémentaire sans que ne soient réduits les effectifs des autres opérations en cours, extérieures ou intérieures ».

En outre, cette OPINT a perturbé les relèves des forces déployées outre-Mer ou à l’étranger. Et les capacités de celles dites de « souveraineté » et/ou de « présence » ont été « amoindries ».

Par ailleurs, le député met en avant le risque de « lassitude grave » pour les militaires engagés dans l’opération Sentinelle dans la mesure où cette dernière les met dans une « situation de mise en tension ».

Selon le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre, « ce sont 57 700 terriens qui se sont relayés à Sentinelle depuis le 11 janvier », en soulignant que certains d’entre eux « doivent ainsi effectuer 20 à 25 kilomètres à pied par jour » et de « rendre hommage à la constance et à la fiabilité de leur engagement. »

Or, avec des périodes d’engagement de 6 semaines dans le cadre de cette opération, certains militaires ont été absents de leur garnison « plus de la moitié du temps ».

Et le député François Lamy d’avancer que « plus fréquent et plus long, l’éloignement a des conséquences sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et, de façon peut-être paradoxale, il semble que les familles comprennent et acceptent moins facilement d’être privées d’un de leurs membres lorsque celui-ci assure des gardes en métropole que lorsqu’il est envoyé en OPEX ». Et justement,  » la famille est souvent le premier maillon à céder ».

Le moral des soldats peut être affecté par la nature de cette OPINT, bien éloignée de qu’il est possible de vivre en opération extérieure, les conditions de vie, la « qualité des infrastructures étant souvent ressentie comme une marque de considération de l’État envers le soldat comme envers sa mission », a relevé M. Lamy, et l’annulation de nombreuses permissions, même pendant la période estivale.

Pour autant, contrairement aux policiers des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), dont certains ont eu la tentation de se faire porter pâles, les soldats de l’armée de Terre ont assuré vaille que vaille.

« Le suivi épidémiologique quantitatif et qualitatif réalisé quotidiennement depuis le début de l’opération Sentinelle montre une très faible activité de consultations médicales, liées en quasi-totalité aux conditions saisonnières et aux activités de détente, notamment sportives. La part des consultations pour motifs psychologiques ou psychiatriques est très faible », a fait valoir le député.

Cependant, le parlementaire signale quelques points de vigilance. Ainsi, citant l’état-major de l’armée de Terre, « l’ancrage de Sentinelle dans le quotidien (…) pourrait alimenter un sentiment de dénaturation du métier militaire et de faible légitimité de la mission » ce qui, « à courte échéance, pourrait conduire à un certain mécontentement ».

En cause, notamment : un sentiment de dénaturation du métier militaire et de faible légitimité de la mission ainsi que les conditions de vie sur les lieux d’hébergement.

Sur ce dernier point, en commission « élargie », la semaine passée, M. Le Drian a admis que les infrastructures utilisées dans le cadre de Sentinelle « doivent véritablement faire l’objet d’adaptations, en particulier dans la région parisienne », où il a décidé de renoncer à la vente de la caserne Lourcine. En outre, « 20 millions d’euros à la mise aux normes des logements et à l’acquisition des équipements nécessaires pour que les sites d’accueil puissent offrir minimum de confort », a-t-il affirmé.

« L’état-major et moi-même, nous sommes très vigilants sur ce point, car la situation pourrait devenir préoccupante si nous n’y étions pas suffisamment attentifs », a-t-il conclu.

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