Le gouvernement va mettre en place deux cellules pour contrer le discours jihadiste sur Internet

Au début de cette année, et devant la radicalisation d’un nombre toujours plus importants de jeunes gens, le gouvernement a lancé le site Internet « stop jihadisme » avec l’objectif de contrer le discours de la mouvance jihadiste. Dans le même temps, des mesures ont été prises pour empêcher l’accès aux forums en ligne de cette dernière.

Cependant, ces initiatives n’ont eu qu’une efficacité limitée : le contenu de « stop-jihadisme » a été détourné par les jihadistes sur les réseaux sociaux et les vidéos et messages de l’État islamique (EI ou Daesh) et d’autres groupes radicaux continuent d’être diffusés sur la toile.

Pour contrer le discours jihadiste, il faut donc aller porter la contradiction là où ça se passe, c’est à dire sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. C’est ainsi que le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé, lors d’une « masterclass » organisée par le site d’informations en ligne Huffington Post et l’université de Paris-Dauphine, la création prochaine de deux cellules de « community managers » qui en seront chargées.

« Nous allons donc mettre en place un bataillon de community managers de l’Etat pour opposer, et c’est plus difficile, une parole officielle à la parole des djihadistes et ne pas leur laisser l’espace numérique », a ainsi affirmé M. Valls, pour qui il s’agit désormais de « franchir une nouvelle étape » en s’adressant « au cœur de cible, les jeunes en voie de radicalisation eux-mêmes ». Et d’ajouter : « On va recruter non pas que des policiers, mais aussi des ‘hackers ».

Le Service d’information du gouvernement (SIG), a indiqué, auprès de l’AFP, que le « bataillon » évoqué par M. Valls sera composé d’une cellule animé par des fonctionnaires « issus de ministères » et d’une autre qui serait adossée à une fondation privée qui « fera de la recherche sur l’évolution du discours et de la propagande jihadiste ». Ces deux structures devront être prêtes d’ici la fin de cette année.

« Nous produirons des outils de contre-discours pour alimenter ces ‘community managers’ que j’évoquais, et qui pourront ainsi croiser le fer plus efficacement avec les recruteurs djihadistes sur la toile pour ouvrir les yeux à ceux qui sont embarqués dans cette logique » de radicalisation violente », a expliqué le chef du gouvernement., qui a admis la difficulté pour les autorités à s’adresser « directement aux jeunes concernés » car les « jihadistes utilisent la théorie du complot pour décrédibiliser justement la parole officielle ».

« Il faut reconnaître que leurs sites, leurs actions, leurs paroles – je mets des guillemets pour pas qu’il y ait d’ambiguïté – sont très bien faits, très efficaces. C’est une véritable propagande moderne pour attendre les esprits, les coeurs et les cerveaux », a encore estimé M. Valls.

En février, Le Monde et Europe1 affirmèrent qu’une cellule d’une cinquantaine d’experts du Centre interarmées d’actions dans l’environnement (CIAE) avaient été mise en place pour faire de la contre-propagande sur les réseaux sociaux et mener des opérations psychologiques (Psyops).

En réalité, et dans une réponse faite au député Bruno Le Maire qui souhaitait des précisions sur sujet, le ministère de la Défense a précisé qu’il disposait « de moyens de veille et d’analyse des méthodes de propagande utilisées par les belligérants, notamment sur les réseaux sociaux » afin de « sécuriser l’action des forces engagées sur les théâtres des opérations extérieures » car « l’emploi croissant des réseaux sociaux par les acteurs des conflits oblige les armées françaises à intégrer dans leur environnement opérationnel les manoeuvres de déstabilisation pouvant être lancées via ce média ».

Et de poursuivre : « Une mission de vigilance a été confiée au CIAE », dont les effectifs ont été renforcés en 2014. Les équipes de ce dernier « surveillent ou décèlent au plus tôt les éventuelles rumeurs et menaces dirigées contre nos armées » afin de « prendre les mesures adaptées visant à informer sur les actions militaires menées par la France » et « maintenir un environnement favorable à la poursuite des opérations. »

Outre-Manche, une unité de ce type sera prochainement créée. La 77th Brigade, forte de 1.500 personnels aura la charge d’investir les réseaux sociaux pour y recueillir du renseignement et contrer la propagande des « nations hostiles » ou des groupes terroristes.

Par ailleurs, les filiales françaises de Google, Facebook et Twitter ont annoncé leur alliance afin de contrer les contenus jihadistes diffusés via leurs services. « Nous luttons contre les appels à la haine et la violence : nous avons retiré de YouTube 14 millions de vidéos l’an dernier », a ainsi fait valoir Benoît Tabaka, directeur des politiques publiques de Google France. « Mais ce n’est pas suffisant: pour les combattre, il faut diffuser un contenu positif », a-t-il ajouté.

« Nous voulons donner les moyens de développer des contre-discours adaptés à la culture française », a encore indiqué M. Tabaka. « Nous devons aider des associations porteuses de projets à faire émerger ces contre-discours » a enchéri Delphine Reyre, de Facebook.

Cependant, une étude de l’Université catholique de Louvain et de l’Université de Gand, évoquée par le quotidien La Libre Belgique, a relativisé le rôle d’Internet dans le processus de radicalisation des recrues jihadistes.

« Internet et les médias sociaux ne constituent pas le point de départ du processus de radicalisation d’un individu. Il constitue un facilitateur qui sera mis à contribution lorsque le processus de radicalisation est déjà enclenché », expliquent les chercheur. Ce dernier, ajoutent-ils, se base sur « l’inconfort moral vécu », c’est à dire sur les frustrations des personnes visées, lesquelles trouvent dans les groupes extrêmistes « une réponse existentielle au besoin de sens et de signification, une réponse politique et parfois violente à l’injustice ressentie, et un lieu accueillant et un sentiment d’appartenance ».

Aussi, pour cette étude, une démarche de contre-discours « ne sera pertinente que si elle vise à offrir une alternative répondant à ces besoins et pas seulement une alternative déconstruisant un discours ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]