Selon la Commission de Bruxelles, une armée européenne ferait économiser 120 milliards d’euros par an

L’idée, avancée par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission de Bruxelles, de créer une armée europénne a reçu un accueil contrasté. Il y a ceux qui sont totalement d’accord avec cette proposition, sans dire comment ils comptent la rendre possible. Et puis il y a les sceptiques, dont Grzegorz Schetyna, le ministre polonais des Affaires étrangères, pour qui ce projet est « très risqué ».

Lors de l’entretien qu’il a donné au journal allemand Welt am Sonntag, M. Juncker – peu porté sur la chose militaire – n’a pas précisé la forme qu’aurait cette « armée européenne ». Serait-elle formée grâce aux contributions des pays membres de l’UE, comme le sont les battlegroup qui, opérationnels depuis 2007, n’ont jamais été engagés? Serait-elle une armée fédérale, avec une chaîne de commandement dédiée ainsi que des moyens et des capacités propres? Dans ce cas, quel serait son format? Quel serait le statut de ses militaires? (au passage, quid de la Légion étrangère?) Quelles seraient ses règles d’engagement? Qui déciderait de l’envoyer en opération? Et qui assumerait ses éventuelles pertes humaines?

Enfin, quels pays accepteraient de renoncer à ses forces armées, et donc à sa souveraineté? En clair, cela supposerait de faire évoluer les institutions de l’UE, ce qui suppose de nouveaux traités, lesquels devront être ratifiés par les 28. Il faudrait aussi, mais ça va de pair, que les États acceptent de ne plus défendre leurs propres intérêts. Ce qui est loin d’être gagné : par exemple, l’Allemagne, où certains responsables se sont dits très favorables à la proposition de M. Juncker, n’a pourtant pas hésité à faire capoter le rapprochement entre BAE Systems et Airbus (EADS à l’époque). Et celui de Nexter avec Krauss-Maffei Wegmann n’est pas toujours vu d’un très bon oeil à Berlin.

L’un des argument donnés en faveur de cette armée européenne est que cette dernière permettrait de rationaliser les dépenses militaires des 28 États membres en éliminant les doublons. Il y aura bien matière à creuser cette question, comme par exemple en mutualisant au niveau européen l’acquisition de certains équipements ou de munitions. Et cela sans aller jusqu’à dissoudre les armées nationales (ainsi que leur expérience) dans une seule.

Mais à combien s’éleveraient ces économies? Dans une dépêche de l’AFP, reprise par de nombreux sites de journaux, on lit qu’elles « pourraient atteindre 120 milliards d’euros par an » selon une estimation de la Commission, laquelle a renvoyé « pour les détails au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de juin qui sera consacré notamment aux questions de défense ».

Les dépenses militaires des 28 pays membres de l’Union européenne s’élèvent à environ 190 milliards d’euros par an. S’il est question de 120 milliards d’économies, il n’en resterait donc plus que 70 milliards, ce qui, grosso modo, correspond à l’addition des budgets de la défense de la France et du Royaume-Uni. Cela veut-il dire que ce qui fait besoin pour la protection de ces deux pays (sur terre, sur mer et dans les airs) ainsi que pour leurs opérations extérieures serait suffisant à l’échelle européenne?

Dire que l’Union européenne se doterait de capacités militaires à la hauteur de son poids économique serait un grand mot puisque son effort de défense ne représenterait que seulement 0,55% de son PIB, lequel est de 12945,402 milliards d’euros. Suffisant pour renforcer son poids politiques et répondre aux menaces actuelles, alors que la norme Otan est de 2% du PIB?

« L’idée qu’une armée européenne génèrerait d’importantes économies se fonde sur des principes théoriques. Le postulat de base est qu’une armée commune pourrait éviter les duplications d’équipements et de capacités. On part également du principe, tout à fait discutable et hautement sensible, qu’il faudrait réduire le format : il y aurait donc moins de militaires, moins de besoins en entraînements, en équipements », souligne Vivien Pertuisot, responsable du bureau d’Ifri-Bruxelles.

« Sauf à penser qu’une armée européenne serait strictement territoriale, elle serait a priori engagée en opérations extérieures : on ne peut donc pas trop diminuer le format et il faudrait largement renforcer l’éventail capacitaire (…) et très probablement aussi augmenter le niveau de préparation moyen de beaucoup de militaires. Autant d’éléments très coûteux – à moins que l’on tire les ambitions vers le bas », ajoute-t-il dans les colonnes du blog Ultima Ratio, avant d’estimer qu’une « une improbable armée européenne serait très probablement moins déployable et moins aguerrie que les meilleures armées nationales. »

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