Le président tchadien demande à l’Otan d’assurer le « service après-vente » en Libye

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Depuis plusieurs mois maintenant, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne cesse de mettre en garde contre ce qu’il est en train de se passer dans le sud de la Libye, qu’il qualifie de « hub » pour terroristes. Le fait est, plusieurs groupes jihadistes en ont fait une base arrière à partir de laquelle ils mènent des actions dans la bande sahélo-saharienne (BSS), et plus particulièrement au Nord-Mali. C’est ce qui explique la création d’une base avancée française à Madama (Niger), dans le cadre de l’opération Barkhane, afin de surveilleur leurs mouvements et leurs trafics.

Mais plus globalement, depuis la fin du régime du colonel Khadafi, accélérée par l’opération Unified Protector de l’Otan, la Libye s’enfonce inexorablement dans le chaos, avec deux gouvernements, autant de Parlements, des milices qui n’ont jamais été désarmées et qui veulent imposer leur loi, des foyers jihadistes dans l’est, notamment à Derna, où un groupe a fait allégeance à l’État islamique (EI ou Daesh) et à Benghazi, où Ansar al-Sharia est actif. Et c’est sans compter les rivalités tribales, les implications étrangères, etc…

Dans la dernière Lettre du CEMAT (chef d’état-major de l’armée de Terre), la problème a très bien été résumé. « Les GAT (ndlr, groupes armés terroristes) restent présents (au Nord-Mali) bien qu’ils subissent une forte attrition. Changeant complètement leur modes d’action, ils évitent à présent la confrontation directe avec les forces internationales et recherchent des actions indirectes par EEI (ndlr, engins explosifs improvisés), mines, tirs indirects voire attaques suicides. Par ailleurs, Boko Haram fait peser au Sud une menace croissante sur le nord du Nigéria, le sud du Niger et le Cameroun. Au Nord, la dégradation est identique en Lybie », peut-on y lire.

Aussi, comme l’on pouvait s’y attendre, la situation libyenne a été évoquée lors du premier Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique, organisé avec le concours de la France à Dakar (Sénégal). Et le moins que l’on puisse dire est que la parole y a été très libre. Pour ne pas dire franche et directe.

Ainsi, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, après avoir de nouveau salué l’opération française Serval, lancée en janvier 2013 pour chasser les groupes jihadistes du Nord-Mali, a estimé que « tant que le problème sud-libyen ne sera pas résolu, nous n’aurons pas la paix ».

Son homologue sénégalais, Macky Sall, a été encore plus direct. « Malheureusement, la Libye est un travail inachevé, a-t-il dit. Il faut que ceux qui l’ont entamé puissent nous aider à le terminer. A cela, il faut ajouter les influences venues d’Egypte, avec les Frères musulmans qui, par vagues, rejoignent ce pays; et le commerce du pétrole qui se poursuit et qui alimente le financement de l’armement. Donc, c’est véritablement une poudrière pour la zone sahélienne, qu’il convient de traiter de manière appropriée », a-t-il affirmé.

Ensuite, c’est le président tchadien, Idriss Déby Itno, qui n’a pas fait dans la dentelle. « La Libye est devenue le terreau du terrorisme et de tous les malfaiteurs. Le Mali, c’est la conséquence directe de la destruction et du désordre libyen, Boko Haram aussi », a-t-il lancé. Et « en Libye, a-t-il continué, l’objectif recherché était l’assassinat de Kadhafi mais pas autre chose. Ce qu’il n’y a pas eu, c’est le service après-vente ».

Sans charger la France, dont le Tchad est le principal allié dans la lutte contre les réseaux terroristes, le président Déby a estimé que la « solution n’est pas entre nos mains » mais dans celles de l’Otan qui a créé le désordre » et qui n’a donc qu’à « ramener l’ordre ». Et, a-t-il poursuivi, les « Nations unies qui ont donné le quitus (pour l’intervention de 2011) sont responsables aussi ». Et d’insister : « Aucune armée africaine ne peut aller détruire en Libye le terrorisme (…) Il n’y a que l’Otan qui en a les moyens ».

« Si on veut résoudre le problème du Sahel, il faut s’occuper de la Libye. Nous pourrons les accompagner », a-t-il conclu.

Une autre pique a été adressée cette fois à la France par le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelel Aziz. « Il faut éviter d’être laxiste avec les preneurs d’otages, d’éviter donc le paiement de rançons qui financent ce terrorisme et qui le rendent plus virulent et plus apte pour continuer à exister et à prendre d’autres otages par la suite. Cela, nous l’avons vécu  malheureusement dans notre région du Sahel et nous continuerons à le vivre tant qu’on continue à encourager le terrorisme à exister par le paiement de rançons », a-t-il dit.

Lors du discours de clôture de ce Forum, M. Le Drian a dit avoir « assisté à des échanges » qui l’ont frappé « non seulement par leur qualité mais aussi par leur liberté de ton et de parole ». Ce qui était, selon lui, le but recherché. « C’est bien dans cet esprit que nous avions imaginé ce forum : un lieu de rassemblement, un lieu d’échanges sans fard et sans a priori », a-t-il affirmé.

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