La France et la Grande-Bretagne pourraient partager leurs porte-avions
« Dès lors que vous considérez que vous avez besoin de cet instrument de projection de puissance, cet instrument diplomatique que représente un porte-avions, cette capacité de bénéficier de la liberté des mers, la cohérence voudrait d’en construire un deuxième » avait affimé le ministre français de la Défense, Hervé Morin, sur les ondes d’Europe 1 en mars 2009.
Mais pour le moment, la « cohérence » attendra 2012, année où la décision de construire un second porte-avions pour épauler le Charles de Gaulle sera prise ou non. Le coût d’un tel projet serait de l’ordre de 3 milliards d’euros.
Initialement, il était question d’une coopération avec les britanniques pour lancer la construction de trois bâtiments de ce type quasiment identiques et à propulsion classique. Seulement, ce projet a du plomb dans l’aile.
Actuellement, avec les HMS Ark Royal et Illustrious, la Royal Navy dispose de deux porte-aéronefs, à partir desquels opérent les Harrier, des avions à décollage et atterrisage court (VSTOL). Ce ne sont pas des navires de la même classe que le Charles de Gaulle mais plutôt de celle des BPC Mistral. Autrement dit, les Rafale, Super Etendard et autres Hawkeye de la Marine nationale ne sont pas en mesure d’utiliser leur pont d’envol, d’autant plus que ces bateaux britanniques ne disposent pas de catapulte, ni de brin d’arrêt.
Dans ces conditions, l’information donnée par le Times, selon laquelle la France et la Grande-Bretagne comptent mettre en commun le Charles de Gaulle et les HMS Ark Royal et Illustrious afin d’assurer une permanence à la mer laisse sceptique, du moins en l’état actuel des choses et sans présager des problèmes politiques que cela pourra créer à l’avenir.
Seulement, le ministère britannique de la Défense (MoD) va devoir tailler drastiquement dans ses dépenses, conformément au souhait du locataire du 10 Downing Street de réduire les déficits publics du Royaume. Et il ne s’agira pas de faire semblant puisqu’il est question d’une baisse de budget d’au moins 15%.
En octobre, le MoD va publier la « Defense Review », c’est à dire les objectifs et les priorités qui devront être pris en compte dans le budget de la défense britannique. Et actuellement, les spéculations vont bon train. Comme les luttes d’influence, chacun essayant de défendre son bout de gras.
Ainsi, le 23 août dernier, le Royal United Services Institute a estimé qu’il était plus urgent pour la Royal Navy de se doter d’une dizaine de frégates supplémentaires afin de sécuriser les routes commerciales, étant donné que 90% des échanges en valeur du Royaume-Uni s’effectuent par la mer. Et si cette piste est retenue, cela voudrait dire que la commande des deux porte-avions (les HMS Queen Elizabeth et Prince Of Wales) serait annulée, ce qui permettrait une économie de 5,2 milliards de livres.
Cependant, et compte tenu du poids économique qu’il représente, il est difficilement imaginable que le programme des deux porte-avions britanniques soit purement et simplement annulé. Le scénario le plus probable serait que la Royal Navy renonce à l’un des deux. De fait, le Prince of Wales ne verrait pas le jour, du moins dans un avenir proche, et seul le Queen Elizabeth, en cours de construction, entrerait en service.
Par ailleurs, selon le Daily Telegraph, la Royal Navy compte toujours acquérir des F35 Lightning II, actuellement en cours de développement aux Etats-Unis. Mais ce ne serait plus la déclinaison VSTOL de l’appareil qui intéresse la marine britannique, mais la version navalisée de l’avion (F35C), prévue pour équiper l’US Navy.
La raison de ce revirement est budgétaire : la version VSTOL est plus chère que l’autre alternative. Et cet écart de prix ne se justifie pas sur le plan de l’efficacité opérationnelle.
Quoi qu’il en soit, ce choix, s’il est confirmé, aura une conséquence : le HMS Queen Elizabeth devrait être doté de catapultes et de brins d’arrêt, comme tous les autres porte-avions de la même classe. D’ailleurs, une entreprise a été chargée par le MoD d’étudier la question, en toute discrétion. Autre information donnée par le Daily Telegraph : 12 pilotes britanniques effectuent actuellement un stage aux Etats-Unis pour obtenir leur qualification sur porte-avions.
Par conséquent, il semble que la Royal Navy cherche à se doter d’un porte-avions pouvant être compatible avec ceux de l’US Navy mais aussi et surtout avec celui de la… Marine nationale.
Ainsi, une coopération franco-britannique dans le domaine des capacités aéronavales prendrait tout son sens. L’un et l’autre pays pourraient chacun économiser le coût d’un second porte-avions et garder une présence à la mer en permanence. Le coup est jouable dans le cas de convergences politiques sur un problème donné. En revanche, il le sera beaucoup moins à la moindre divergence de vues. Sans doute en saura-t-on plus le 3 septembre prochain : ce jour-là, Hervé Morin et Liam Fox, son homologue britannique, tiendront une conférence de presse au sujet des collaborations possibles entre les deux armées.