Avec la fin annoncée de Barkhane, le Mali dénonce un « abandon en plein vol » de la France

Le 22 septembre, à l’appel du mouvement « Yèrèwolo débout sur les remparts », des milliers de Maliens ont manifesté à Bamako pour soutenir le gouvernement de transition, dominé par les militaires à l’origine de deux coups d’État au cours de ces derniers mois, et dénoncer les « ingérences extérieures » tout en ne se disant pas hostile à l’arrivée de mercenaires russes dans le pays.

En janvier, le mouvement Yèrèwolo s’était mobilisé pour exiger le départ des troupes françaises de l’opération Barkhane. Opération dont la fin a été annoncée par le président Macron, dans le cadre d’une réorganisation du dispositif militaire autour du groupement européen de forces spéciales « Takuba », dont la mission est d’accompagner les forces sahéliennes au combat.

Justement, cette évolution justifie, au yeux de Bamako, le recours aux services de la société militaire privée [SMP] russe Wagner. La France, le Niger [partenaire du Mali au sein du G5 Sahel], la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [CEDEAO] et l’Union européenne ont clairement fait savoir au gouvernement de transition malien qu’une telle option n’était pas acceptable.

Ainsi, la semaine passée, la CEDEAO a dénoncé « fermement la volonté des autorités de la transition d’engager des compagnies de sécurité privées au Mali et est très préoccupée par les conséquences certaines sur la détérioration de la situation sécuritaire au Mali et dans l’ensemble de la région ».

« Il semble que les autorités de transition discutent de la possibilité d’inviter le groupe Wagner à opérer dans le pays. Nous savons bien comment ce groupe se comporte dans différentes parties du monde, cela affecterait sérieusement la relation entre l’Union européenne et le Mali », a fait valoir Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Quant à la France, elle a fait savoir, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, que le recours à des mercenaires russes serait « incompatible notre présence » miliaire au Mali. L’Estonie, qui a engagé des troupes dans l’opération Barkhane, est sur la même ligne.

Dans un premier temps, le gouvernement de transition malien n’a pas voulu admettre qu’il discutait avec la SMP Wagner. Et d’évoquer alors des « allégations basées uniquement sur des rumeurs et des articles de presse commandités s’inscrivant dans le cadre d’une campagne de dénigrement [du Mali] et de diabolisation de [ses] dirigeants ».

Puis, dans une réponse ferme au Niger, qui lui reprochait une telle tentation, il a fait valoir qu’il ne permettrait « à aucun État de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il doit solliciter ou pas », son « souci » étant de « préserver l’intégrité territoriale » du Mali.

Seulement, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a confirmé que des discussions étaient bien en cours entre Bamako et des sociétés militaires privées russes tout en expliquant que Moscou n’était pas impliqué dans ces pourparlers.

« Les autorités maliennes se sont tournées vers une société militaire privée russe parce que, si je comprends bien, la France veut réduire significativement ses forces militaires qui devaient combattre les terroristes à Kidal », a relevé le chef de la diplomatie russe. Les Français « n’y sont pas arrivés et les terroristes continuent de régner dans cette région », a-t-il ajouté.

En outre, a-t-il assuré, « tout cela se fait sur une base légitime », entre un « gouvernement légitime, reconnu par tous » et des entités qui « fournissent des services à travers des spécialistes étrangers », a-t-il fait valoir. Et d’insister : « Nous n’avons rien à voir avec cela ».

Sauf que la SMP Wagner a des liens très étroits avec le Kremlin, que Paris a dénoncé à plusieurs reprises la « guerre informationnelle » menée par la Russie [et la Turquie] au Mali contre la force Barkhane et Moscou n’a eu de cesse de raffermir ses liens avec Bamako au cours de ces derniers mois.

Sur ce dernier point, M. Lavrov a estimé qu’il « serait mieux de synchroniser l’action de l’Union européenne et de la Russie dans la lutte contre le terrorisme, non seulement au Mali mais aussi dans la région du Sahel et du Sahara ».

Sans citer la SMP russe, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, s’en est pris à la décision de Paris de mettre un terme à l’opération Barkhane.

« La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a expliqué le chef du gouvernement de transition malien.

Il s’agit de « combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord du Mali », a-t-il continué, en déplorant un « manque de concertation » et une annonce « unilatérale » faite par Paris sans coordination avec l’ONU et les autorités maliennes de transition.

« Le Mali regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision », a insisté Choguel Kokalla Maïga, avant de réclamer une « une posture plus offensive » de la Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA] qui, forte de 15.000 Casques bleus, n’a pas le mandat nécessaire pour mener des actions de contre-terrorisme.

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