Pour le Premier ministre polonais, les propos de M. Macron sur l’Otan sont « dangereux »

À plusieurs reprises, le président Trump laissa entendre que les États-Unis interviendrait militairement pour soutenir un allié de l’Otan à la condition que ce dernier ait consacré assez de ressources à sa défense. Ce qui passa pour une remise en cause pure et simple du principe de défense collective prévu à l’article 5 du traité de Washington, sur lequel repose l’Alliance atlantique.

Puis, lors du sommet de l’Otan organisé à Bruxelles le 25 mai 2017, le chef de la Maison Blanche ne fit rien pour dissiper le trouble : dans le discours qu’il prononça à cette occasion, il « oublia » d’évoquer cet article 5, contrairement à ses prédécesseurs. Mais il réparera cet « oubli » lors d’une visite en Pologne.

Toujours en 2017, M. Trump avait qualifié l’Otan « d’obsolète »… avant de revenir de meilleurs sentiments quelques semaines plus tard, en accueillant Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’organisation, à la Maison Blanche.

Pourtant, et sauf erreur, aucun membre de l’Otan n’a jugé les déclarations et les omissions de M. Trump au sujet de l’article 5 comme pouvant être « dangereuses ». En quelque sorte, comme le fait dire Michel Audiard à Jean-Paul Belmondo dans le film 100.000 dollars au soleil, « quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. »

Cela étant, cette clause de défense collective a été remise en question par Emmanuel Macron, dans un entretien donné à l’hebdomadaire « The Economist ». Et on peut dire que le président français a jété un gros pavé dans la marre, en disant que l’Otan se trouvait dans un « état de mort cérébral », après les décisions prises par les États-Unis et la Turquie au sujet de la Syrie, sans la moindre concertation préalable avec les 27 autres alliés.

« Que signifiera l’article 5 demain? […] Si le régime de Bachar al-Assad décide de répliquer à la Turquie, est-ce que nous allons nous engager? C’est une vraie question. Nous nous sommes engagés pour lutter contre Daesh. Le paradoxe, c’est que la décision américaine et l’offensive turque dans les deux cas ont un même résultat : le sacrifice de nos partenaires sur le terrain qui se sont battus contre Daesh, les Forces Démocratiques Syriennes », a ainsi affirmé M. Macron, avant d’en appeler l’Europe a enfin se doter d’une autonomie stratégique et militaire.

« Je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir », a répondu Angela Merkel, la chancelière allemande, à M. Macron. Et les « termes radicaux » du président français « ne correspondent pas à mon point de vue au sujet de la coopération au sein de l’Otan », a-t-elle ajouté.

À l’occasion du 64e anniversaire de la Bundeswehr, Mme Merkel a réaffirmé que « l’Otan restait le pilier central » de la défense allemande. Toutefois, a-t-elle admis, « il est de plus en plus clair que nous les Européens, les États membres de l’UE dans l’Otan, devront prendre plus de responsabilité à l’avenir. »

Son ministre des Affaires étrangères [qui n’est pas de son bord politique, ndlr], le social-démocrate Heiko Maas, a fait valoir que ce serait « une erreur que d’affaiblir l’Otan » car « sans les États-Unis, ni l’Allemagne ni l’Europe ne seraient en mesure de se protéger efficacement. » M. Stoltenberg n’avait pas dit autre chose, quelques heures auparavant…

« Oui, nous voulons une Europe forte et souveraine, mais nous en avons besoin dans le cadre d’une Otan forte, pas pour s’y substituer », a encore plaidé M. Maas, dans une tribune publiée par Der Spiegel, ava,t de proposer la création d’un Conseil de sécurité européen, auquel le Royaume-Uni serait associé.

Mais la critique la plus acerbe des propos de M. Macron est venue de Pologne. En effet, sollicité par le quotidien The Financial Times, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki les a estimés « dangereux » pour l’Alliance. « Les problèmes de l’Otan ne proviennent pas de l’ambivalence de M. Trump, mais du manque d’engagement de certains membres européens », a-t-il précisé. [Quand les types de 130 kilos disent certaines choses…]

« Je pense que les doutes du président Macron [sur la clause de défense mutuelle, ndlr] peuvent amener d’autres alliés à se demander si c’est peut-être la France qui a des inquiétudes quant à sa capacité à s’y conformer. J’espère que nous pourrons toujours compter sur le respect par la France de ses obligations », a affirmé M. Morawiecki.

Cela étant, après l’annexion de la Crimée par la Russie, en mars 2014, la France avait envoyé des Rafale et des Mirage 2000 en Pologne, au titre des mesures de réassurance prises par l’Otan. Et un avion E-3F fut régulièrement déployé pour surveiller l’espace aérien polonais. La Marine nationale fut même sollicitée pour envoyer un Falcon 50 à Gdynia Oksuwie.

« Dès le début de la crise russo-ukrainienne, la France a pris toute sa part à ces mesures en engageant des moyens militaires pour renforcer la surveillance et la défense des espaces aériens roumain, polonais et des pays Baltes, assurer des missions de surveillance et de veille stratégique depuis la mer Noire, renforcer certains états-majors de l’Otan et intensifier la présence française dans les forces maritimes permanentes de l’Alliance », avait-on alors rappelé à Paris.

A contrario, le soutien militaire de la Pologne à la France au titre de la lutte contre le terrorisme ne saute pas aux yeux, alors que des pays comme l’Estonie [qui redoute tout autant les visées russes que les dirigeants polonais] et le Royaume-Uni se sont engagés militairement au Sahel pour renforcer Barkhane ou encore comme la Finlande, qui a soulagé les forces françaises en envoyant une compagnie au sein de la FINUL…

Par ailleurs, M. Morawiecki a souligné que plusieurs alliés, dont la France, ne respectaient pas l’objectif d’invertir 2% de leur PIB dans leur défense. « Je pense qu’il est bon de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’Otan n’est pas celle qu’on souhaiterait. Ce n’est pas faute d’un engagement américain, c’est faute d’un manque de réciprocité de la part de certains alliés européens », a-t-il dit.

L’explication de l’attitude polonaise a été livrée par Gorka-Winter, du Polish Institute of International Affairs [PISM] à la radio publique allemande Deutsche Welle.

« Il est naturel que nous recherchions des partenaires capables d’exercer réellement leur puissance militaire, ce qui signifie qu’ils peuvent s’acquitter des obligations énoncées à l’article 5 du traité de l’Otan », a en effet affirmé cette analyste politique.

Or, a-t-elle ajouté, le principe de solidarité entre alliées n’est qu’une « fiction s’il n’est pas soutenu par de véritables moyens militaires. » Et les « États-Unis, avec leur potentiel militaire, sont les seuls sur lesquels on puisse compter si la Pologne est en danger », a-t-elle estimé.

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