La poursuite de l’engagement des forces allemandes auprès de la coalition anti-jihadiste est loin d’être acquise

Le 20 août, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a admis ce que les rapports des Nations unies et de l’Inspection général du Pentagone ont récemment avancé, à savoir que, après avoir perdu son « califat physique » au Levant, l’État islamique [EI ou Daesh] était en train de renforcer les conditions « propices à son éventuelle résurgnece », tout en profitant des lacunes des Forces de sécurité irakiennes [FSI] et des Forces démocratiques syriennes [FDS, alliance arabo-kurde].

« Même s’il a perdu son ‘califat’ territorial, l’État islamique en Irak et en Syrie a renforcé ses capacités insurrectionnelles en Irak et a repris ses activités en Syrie ce trimestre », a en effet déclaré M. Pompeo, à l’antenne de CBS. « Il y a certaines zones où l’EI est plus puissant aujourd’hui qu’il y a trois ou quatre ans. Mais le califat n’existe plus et leur capacité à mener des attaques à l’étranger a été fortement amoindrie », a-t-il ajouté.

Cependant, a-t-il fait valoir, « nous avons considérablement diminué la menace, pas entièrement mais de manière significative. Nous sommes très satisfaits du travail que nous avons fait. »

Effectivement, pour le moment du moins, les capacités de Daesh à planifier des attentats loin de ses bases ont été considérablement amoindries. Mais, il « réinvestira dans sa capacité de diriger et faciliter l’exécution d’attentats complexes à l’échelle internationale, dès qu’il disposera de l’espace et du temps nécessaires », a récemment prévenu le rapport d’un groupe d’experts des Nations unies.

Les statistiques publiées régulièrement par l’AFCENT, c’est à dire les forces aériennes relevant de l’US CENTCOM, le commandement militaire des États-Unis pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, sont révélatrices [.pdf]. En janvier 2019, les chasseurs-bombardiers et les drones américains larguèrent 2.005 munitions. Puis à mesure que l’EI en était réduit à défendre ses dernières positions, ce nombre déclina pour tomber à 900 en mars, mois durant lequel la localité de Baghouz fut conquise par les FDS, ce qui mit un terme au « califat » territorial de l’organisation jihadiste.

En avril et en mai, l’aviation américaine largua 144 munitions au total [90 et 54]. Mais la tendance est depuis repartie à la hausse, avec 135 bombes larguées en juin et 105 autres en juillet.

Dans le même temps, le rythme des missions de renseignement et de surveillance [ISR] est resté soutenu depuis janvier, avec déjà 7.654 sorties aériennes pour les appareils américains, soit presque autant que pendant l’année 2018 [7.782 missions]. Or, c’est dans ce domaine que la Bundeswehr apporte des capacités, avec le déploiement en Jordanie de six chasseurs-bombardiers Tornado ECR et un avion ravitailleur A310 MRTT. Par ailleurs, et c’est un autre volet important de la stratégie suivie par la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis, l’armée allemande assure aussi la formation des forces locales.

Lors d’un déplacement en Irak, la nouvelle ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer [CDU], présenté comme étant la « dauphine » d’Angela Merkel, a plaidé pour la prolongation de l’engagement de la Bundeswehr au Levant, lequel doit théoriquement prendre fin le 31 octobre prochain.

« Il est difficile d’expliquer à la partie irakienne que la poursuite de la mission n’est pas acquise », a déclaré Mme Kramp-Karrenbauer à la presse, le 20 août, à l’issue d’un entretien avec des responsables irakiens. Ces derniers, a-t-elle assuré, ont même lancé un « appel urgent » à Berlin pour maintenir sa présence militaire, voire « étendre la portée de son engagement ».

Pour la ministre allemande, il ne fait aucun doute que l’engagement de Berlin doit continuer. « La stabilisation à long terme de l’Irak est dans notre propre intérêt », a-t-elle fait valoir. Mais il lui faudra convaincre les députés allemands, car c’est en effet au Bundestag, c’est à dire la Chambre basse du Parlement allemand, qu’il reviendra de trancher. « Nous sommes maintenant sur le point de décider si les victoires passées contre l’État islamique seront durables », a résumé Mme Kramp-Karrenbauer.

Or, il n’y a pas, pour le moment, de consensus sur ce sujet parmi les élus allemands. Qui plus est, la vie politique en Allemagne est sous tension, en partie à cause de la situation économique et sociale, le PIB ayant reculé de 0,1% au second trimestre [et la Bundesbank n’exclut pas un nouveau recul dans les mois à venir]. Et cela, à quelques jours d’élections régionales cruciales [en Saxe et au Brandebourg, ndlr] pour la CDU [chrétiens-démocrates] et le SPD [parti social démocrate], les deux partis qui forment la « grande coalition » emmenée par Mme Merkel.

Menacés par l’extrême droite pour l’un et par les écologistes pour l’autre, chacun est tenté de durcir ses positions afin d’éviter la fuite de leurs électeurs. Et, en coulisse, les uns et les autres se placent pour espérer succéder à Angela Merkel. À ce jeu, Mme Kramp-Karrenbauer est sans doute celle qui a le plus à perdre dans la mesure où elle a accepté de diriger le ministère qui passe pour être le plus compliqué outre-Rhin…

Quoi qu’il en soit, le SPD a annoncé la couleur : il milite avec insistance en faveur du retrait des avions Tornado ECR et des avions de ravitaillement en vol de la coalition. Or, pour Mme Kramp-Karrenbauer, ce serait une erreur. « Les images des avions de reconnaissance seront aussi utilisées pour aider à mieux construire les camps de réfugiés et assurer la liberté de mouvement des organisations non gouvernementales dans le pays », a-t-elle fait valoir. Sera-ce suffisant pour convaincre?

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