Vexé par le refus du Danemark de vendre le Groenland, M. Trump annule une visite à Copenhague

Quand, la semaine passé, le Wall Street Journal a révélé que le président américain, Donald Trump, s’était enquis de la possibilité d’acquérir le Groenland, territoire danois bénéficiant d’une large autonomie par rapport à Copenhague, on pouvait penser que la rédaction du quotidien économique avait un peu forcé sur le Tapanel supérieur [ou l’Aquavit]. Mais c’eût été lui faire un mauvais procès d’intention… car le chef de la Maison Blanche a depuis confirmé ses intentions…

« C’est juste quelque chose dont nous avons parlé. Le Danemark en est le propriétaire. Nous sommes de très bons alliés avec le Danemark. Nous protégeons le Danemark comme nous protégeons de grandes parties du monde. Alors l’idée est venue et j’ai dit que certainement, je serais [intéressé par un achat]. Stratégiquement, c’est intéressant […] Nous évoquerons le sujet avec eux, mais ce n’est pas une priorité », a ainsi affirmé M. Trump, le 19 août.

« Essentiellement, c’est une grosse transaction immobilière. [Le Groenland] fait beaucoup de mal au Danemark parce qu’ils perdent environ 700 millions de dollars chaque année pour l’entretenir… Et stratégiquement, pour les États-Unis, ce serait bien », a-t-il ajouté.

Plus vaste île du monde après l’Australie et appartenant physiquement au continent nord-américain, le Groenland fut découvert, selon les sagas vikings, par Snaebjörn Galti, puis colonisé par Erik le Rouge. Les Inuits, estime-t-on, s’y seraient établis vers 1250.

Aux XVIIIe siècle, convoité, un temps, par le Royaume-Uni [qui y renonça finalement après avoir considéré qu’il n’avait pas de valeur stratégique et qu’il présentait plus d’inconvénients que d’intérêts], le Groenland fut maintenu dans l’orbite du Danemark. Seulement, à partir de 1823 [et la doctrine dite « Monroe »], les États-Unis commencèrent à s’intéresser à ce territoire, estimant qu’il appartenait à leur « sphère de sécurité ». D’où une première proposition d’achat qu’ils adressèrent à Copenhague en 1867. Contrairement à la France [avec la Louisiane] et la Russie [avec l’Alaska], le Danemark refusa.

Mais les États-Unis, sans doute encouragés par l’achat des Indes occidentales danoises [Îles Vierges] dans les Antilles, en 1917, revinrent à la charge 80 ans plus tard. Alors qu’il abrita des bases météorologiques allemandes lors de la Seconde Guerre Mondiale, le Groenland venait alors de prendre encore plus d’importance dans le cadre de la Guerre Froide. Une telle transaction était une « nécessité militaire », selon les stratèges américains. Malgré un échange de territoires en Alaska et 100 millions de dollars [de l’époque] en or, Copenhague opposa un nouveau refus.

Cela étant, les États-Unis obtinrent un accès privilégié au Groenland, sans avoir eu céder des territoires et des lingots au Danemark. À partir de 1953, ils y installèrent la base de Thulé [encore active aujourd’hui] ainsi que cinq autres emprises secrètes, devant préfigurer un réseau de sites de lancement de missiles balistiques nucléaires, dans le cadre du projet Iceworm. Mais ce dernier fut finalement abandonné en 1967. Seulement, le changement climatique a remis ces installations [Camp Century, ndlr] devant les projecteurs : l’accélération de la fonte des glaces menaçant d’exhumer les restes de cette base [ainsi que ses déchets] plus vite qu’attendu…

Le changement climatique pourrait expliquer l’intérêt de M. Trump pour le Groenland… En effet, l’Arctique redevient un enjeu pour les grandes puissances. La Russie en a fait une priorité stratégique. Et la Chine s’y intéresse de très près.

« L’Arctique est une région sur laquelle nous devons vraiment nous concentrer et investir avant tout. Ce n’est plus une zone tampon. […] La Chine et la Russie y ont établi une assise sensiblement plus solide, le long des approches nord des États-Unis et du Canada » et il faut donc « prendre des mesures actives pour assurer notre capacité à détecter, contrecarrer et contrecarrer les menaces potentielles dans cette région », avait ainsi résumé le général Terrence O’Shaughnessy, de l’US Northern Command, en février dernier, lors d’une audition parlementaire.

Si la Russie a renforcé ses moyens militaires dans le Grand Nord, en réactivant des bases de l’époque soviétique, la Chine joue la carte économique pour y affirmer sa présence. Et notamment en profitant de la décision de Copenhague de donner davantage d’autonomie au Groenland en donnant le contrôle de la gestion de ses ressources. Or, ces dernières sont prometteuses : l’île recèlerait 25% des réserves mondiales de terres rares [des métaux stratégiques, que ce soit pour l’électronique et l’armement] ainsi que d’autres ressources potentielles [hydrocarbures, uranium, fer, cuivre, zinc, etc].

Pour exploiter ces ressources, les autorités du Groenland ont alors misé sur la Chine, multipliant les contacts avec leurs homologues chinoises. Évidemment, à Pékin, on fait grand cas de ce territoire : en 2016, la plus grande base de données d’articles scientifiques rédigés en mandarin « comptait plus de de 800 articles consacrés en partie ou en totalité au Groenland », souligne un article de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du minsitère des Armées [DGRIS].

L’intérêt de la Chine ne se limite pas aux ressources minières. En juin, Copenhague, avec l’appui de Washington, a réussi à évincer le groupe China Communications Construction Company [CCCC] d’un appel d’offres pour l’extension des aéroports internationaux de Nuuk, Ilulissat et Qaqortoq, d’une valeur de 483 millions d’euros. Pour expliquer son retrait, CCCC ont mis en avant « les difficultés d’obtention de visas pour ses ingénieurs. »

Les États-Unis ont « manifesté un regain d’intérêt pour l’île, promettant d’y investir dans des projets aéroportuaires ainsi qu’en matière de santé, d’éducation, de recherche et de tourisme », a commenté Rahbek-Clemensen, chercheur à l’Académie de la défense du Danemark, cité par l’AFP.

Mais pour Washington, l’intérêt pour le Groenland n’est pas qu’économique : il est avant tout militaire, comme l’a souligné Luke Coffey, analyste à l’Heritage Foundation. « La Russie est dans son bon droit lorsqu’elle développe ses activités militaires chez elle, puisqu’elle possède la moitié du territoire arctique. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune garantie que la Russie restera à l’intérieur de ses frontières », a-t-il dit, à l’AFP. Aussi, a-t-il ajouté, « le Groenland est absolument vital pour la défense et la sécurité de l’Amérique du Nord. »

Voilà ce qui motiverait les intentions de M. Trump. Reste que le Groenland n’est pas à vendre.

« Le Groenland est riche en ressources précieuses […]. Nous sommes prêts à faire des affaires, pas à vendre » le territoire, a en effet répondu le ministère groenlandais des Affaires étrangères. Et la tonalité est la même à Copenhague. D’où le courroux de M. Trump à l’égard de la Première ministre danoise, Mette Frederiksen.

« Le Danemark est un pays très spécial avec des gens incroyables mais étant donné les commentaires de la Première ministre Mette Frederiksen, selon lesquels elle n’aurait aucun intérêt à discuter de l’achat du Groenland, je vais repousser notre rencontre prévue dans deux semaines à un autre moment », a ainsi affirmé M. Trump, via Twitter. Et la Maison Blanche a confrmé que la visite du président américain à Copenhague a été « annulée à ce stade ».

Cette bouderie a évidemment été mal prise à Copenhague. « Sans aucune raison Trump considère qu’une partie (autonome) de notre pays est à vendre. Ensuite il annule de manière insultante une visite que tout le monde était en train de préparer. Est-ce que des morceaux des Etats-Unis sont à vendre? L’Alaska? Merci de montrer plus de respect », a réagi Rasmus Jarlov, l’ex-ministre conservateur du Commerce et de la Croissance.

Cependant, Mme Frederiksen a donné le sentiment de na pas vouloir en rajouter. Après s’être dite « contrariée et surprise » par la décision de M. Trump, elle a assuré que le « Danemark et les Etats-Unis ne sont pas en crise » et que l’invitation adressée au chef de la Maison Blanche « restait valable ».

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