Quelles seront les conséquences de la décision de M. Trump de retirer les troupes américaines de Syrie?

Fin mars, le président américain, Donald Trump, avait pris tout le monde de court, à commencer par ses conseillers et les membres de son administration, en annonçant qu’il déciderait « très prochainement » de mettre un terme à l’engagement militaire des États-Unis contre l’État islamique [EI ou Daesh] en Syrie. « Laissons les autres s’en occuper! », avait-il lancé lors d’un discours prononcé dans l’Ohio.

Jusqu’alors, les responsables américains avait expliqué qu’un tel retrait n’était pas envisageable tant que l’EI ne serait pas totalement et irrémédiablement défait afin d’empêcher sa résurgence. En outre, la question de la présence militaire iranienne en Syrie, susceptible d’être un obstacle à un règlement politique de la crise syrienne était une autre raison expliquant l’engagement des États-Unis, tout comme la nécessaire stabilisation des régions reprises aux jihadistes par les Forces démocratiques syriennes [FDS], sous la menace constante d’une offensive turque.

Après la sortie de M. Trump, les choses se tassèrent. Le retrait des 2.000 soldats américains engagés en Syrie était un objectif, mais aucune date n’avait été donnée pour cela. « Nous ne quitterons pas la Syrie tant que les troupes iraniennes y seront, ce qui comprend aussi les mandataires iraniens et les milices », affirmera même John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du chef de la Maison Blanche, en septembre.

Alors que l’enquête sur les collusions de son équipe de campagne avec la Russie se précise, M. Trump a remis le désengagement de Syrie sur le tapis. D’abord en affirmant qu’il envisageait cette éventualité. Puis, via une vidéo postée sur Twitter, dans laquelle il a indiqué avoir ordonné le retour immédiat des forces américaines actuellement présentes sur le sol syrien.

« Nous avons gagné contre ISIS [Daesh] il est temps de rentrer », a lancé M. Trump. Nos garçons, nos jeunes femmes, nos hommes, ils rentrent tous, et ils rentrent tous maintenant », a-t-il ajouté.

Seulement, cette décision a été fermement critiquée par plusieurs responsables et élus américains, y compris dans le camp républicain. Et le sénateur Lindsay Graham, un ténor du « Grand Old Party », est le plus en pointe.

« Quand [le président] Obama a décidé le retrait des forces américains d’Irak, nous savions exactement ce qui allait se passer. L’armée a dit au président Obama : ‘si vous partez maintenant, les radicaux encore présents vont se régénérer. Et beaucoup de gens qui nous ont aidé en Irak sont morts… La même chose va se passer en Syrie », a rappelé le sénateur Graham. « Bonne chance pour que quelqu’un nous aide à mener cette guerre à l’avenir : l’Iran va être vraiment heureux, l’EI sera soulagé et la Turquie se lèche les babines », a-t-il ajouté. « C’est une tache sur l’honneur des États-Unis », a-t-il aussi estimé.

Quoi qu’il en soit, la décision de M. Trump ne sera pas sans conséquences. Et elle concerne également la France et le Royaume-Uni, qui ont engagé leurs forces spéciales aux côtés des militaires américains et des FDS [donc des milices kurdes syriennes] contre Daesh.

1- Le champ libre est laissé à la Turquie pour une offensive contre les Kurdes

Depuis quelques jours, le président turc Recep Tayyip Erdogan, ne cesse d’évoquer le lancement prochain d’une nouvelle opération militaire contre les milices kurdes syriennes [YPG] dans le nord de la Syrie, en raison de leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], une organisation qualifiée de terroriste par Ankara [mais aussi considérée comme telle par les États-Unis et l’Union européenne, ndlr].

Or, dans un communiqué publié en mars dernier, l’Élysée avait indiqué que le président Macron venait d’assurer « les FDS du soutien de la France, en particulier pour la stabilisation de la zone de sécurité au nord-est de la Syrie, dans le cadre d’une gouvernance inclusive et équilibrée, pour prévenir toute résurgence de Daesh dans l’attente d’une solution politique au conflit syrien. ». Qu’en sera-t-il désormais?

Par ailleurs, les opérations contre l’EI ne sont pas encore terminées. S’il a perdu les territoires qu’il contrôlait depuis 2014, le groupe jihadiste s’est réorganisé en renouant avec la clandestinité, tout en mettant en place des cellules dormantes. D’où la nécessité de trouver un accord politique en Syrie [et en Irak] pour empêcher sa résurgence.

De ce point de vue, une offensive turque ne manquerait donc pas de favoriser l’EI en détournant les Kurdes syriens de leur combat anti-jihadiste. Se pose aussi la question du sort des combattants de Daesh faits prisonniers par les FDS…

Afin d’éviter une nouvelle opération de la Turquie dans le nord de la Syrie et rassurer Ankara a sujet d’éventuelles infiltrations kurdes, le Pentagone a annoncé avoir établi des postes d’observation le long de la frontière. Le retrait annoncé par M. Trump rend cette mesure caduque… Et laisse par ailleurs en suspens le cas de la ville de Manbij, convoitée de longue date par le gouvernement turc.

2- Une résurgence de l’EI en Syrie mettrait de nouveau en péril l’Irak

Si l’EI reprend de la vigueur en Syrie, alors il disposera à nouveau d’une base arrière pour mener des opérations en Irak, où, déjà, il s’est réorganisé après avoir subi plusieurs défaites militaires. Si Bagdad a dit avoir « vaincu » l’organisation jihadiste en décembre 2017, il n’en reste pas moins que cette dernière reste très active dans plusieurs régions.

Au point que, en juin, les forces irakiennes ont dû lancer une opération appelée « Vengeance pour les martyrs » pour « nettoyer » une zone située entre l’autoroute Diyala-Kirkouk et la frontière iranienne. Et dans certains provinces, avance le Center for Strategic and International Studies [CSIS], le nombre d’attaques attribuées à l’EI a doublé en 2018 par rapport à l’année précédente.

Par ailleurs, les conditions qui ont favorisé l’émergence de l’EI en Irak demeurent, comme l’antagonisme entre chiites/sunnites ou encore les soucis liés au développement. Et cela ne va pas s’arranger de sitôt au regard de la situation politique et économique compliquée que connaît le pays. Et c’est sans oublier les ingérences iraniennes, via les milices inféodées à Téhéran, toutefois contrebalancées par le soutien des Occidentaux aux forces irakiennes [via la coalition et l’Otan, ndlr]

Cependant, il reste une inconnue : la réaction de Damas et ses alliés à une opération turque dans le nord de la Syrie qui, en cas de succès, se traduirait vraisemblablement par une occupation des territoires conquis, à l’image de ce qu’il s’est passé pour le canton d’Afrin, plus tôt cette année.

3- L’Iran aura aussi le champ libre en Syrie, avec Israël dans la ligne de mire

La présence militaire américaine en Syrie permettait également de garder un oeil sur l’engagement de l’Iran aux côtés de Damas. Ces derniers mois, des attaques contre Israël ont été menées depuisle territoire syrien par des unités iraniennes, associées à des milices chiites, comme le Hezbollah.

Après l’annonce de M. Trump, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu a affirmé qu’il en étudierait les conséquences, avant d’assurer que l’État hébreu « saurait se défendre » contre d’éventuelles menaces venant de Syrie, pays avec lequel il est toujours « techniquement » en guerre.

4- « Jeu, set et match » pour la Russie?

La Russie soutient militairement le régime syrien depuis septembre 2015. Ce qui a permis à ce dernier de se rétablir en reprenant le contrôle de la plupart des territoires qu’il avait perdue face à la rébellion. À l’exception, toutefois, de la province d’Idleb, des zones tenues par les milices kurdes syriennes après leurs victoires contre Daesh et du canton d’Afrin, aux mains de groupes rebelles syriens soutenus par Ankara. Le départ annoncé des troupes américaines de Syrie va donc entériner cette situation.

« Cela finit de faire de la Russie la puissance étrangère qui détient les clés du pouvoir syrien », a ainsi estimé Jonas Parello-Plesner, de Hudson Institute, interrogé par l’AFP.

Reste à voir ce que fera Moscou face aux velléités turques et iraniennes… Jusqu’à présent, les forces russes n’ont rien fait pour contrer les deux offensives menées par la Turquie dans le nord de la Syrie [elles ont même prêté main forte lors des combats d’al-Bab, contre l’EI, ndlr] ainsi que les attaques attribuées par Israël à l’Iran…

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