Pour Washington, le traité sur la militarisation de l’espace proposé par Moscou et Pékin est « hypocrite »

À l’heure où il est question de créer une « force spatiale » américaine, les États-Unis ont vivement critiqué, le 14 août, le projet de « Traité sur la Prévention du placement d’armes dans l’espace et de la menace ou de l’usage de la force contre des objets dans l’espace » [PPWT pour Treaty on the Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space, the Threat or Use of Force against Outer Space Objects] mis sur la table par la Russie et la Chine.

Ce texte a été proposé pour la première fois en 2008, soit un an après l’essai d’une arme antisatellite chinoise, afin de compléter le Traité sur « les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes », ratifié en 1967. L’article 4 de ce dernier interdit la mise en orbite d’armes nucléaires et tout autre type d’armes de destruction massive ainsi que l’utilisation de la Lune à des fins guerrières.

Le PPWT proposé par Pékin et Moscou reprend ce principe, en incluant toutes les armes, quelle que soit leur nature, et prohibe le recours à la force (et à la menace d’y recourir) contre des objets spatiaux. La seconde version de ce texte, publiée en 2014, concernerait également toute arme susceptible de viser un satellite (missile ou système incapacitant, comme les lasers) depuis la terre. Ce qui n’était pas initialement prévu.

Or, pour les États-Unis, il est hors de question de signer un tel traité. Lors de la Conférence des Nations unies sur le désarmement à Genève, la secrétaire d’État adjointe américaine pour le Contrôle des armements, Yleem D. S Poblete, a assuré que son pays reste déterminé à renforcer la sécurité, la stabilité et la durabilité de l’espace. » Toutefois, elle a estimé que le PPWT n’est « pas le mécanisme approprié pour y parvenir. »

« Des efforts creux et hypocrites ne sont pas la réponse », a ainsi lancé Mme Poblete, le 14 août, en évoquant le PPWT, qu’elle a qualifié de « document imparfait. »

La position américaine s’explique par les efforts faits par la Russie et à la Chine pour se doter d’armes antisatellite. Ainsi, en novembre 2014, le comportement curieux d’un satellite russe en orbite avait relancé les spéculations sur la mise au point d’un tel système. Plus récemment, le site Sputnik a évoqué un « nouveau système de lutte contre les satellites » – appelé Rudolph – devant être mis au point dans le programme d’État pour les armements 2018-2027.

« Ce nouveau programme prévoit la mise au point d’un système stationnaire de missiles stratégiques Sarmat, de chasseurs polyvalents Su-35S, d’un missile hypersonique, du système de missiles sol-air S-500 et d’autres armement », a-t-il été expliqué.

Par ailleurs, ancien patron du Commandement interarmées de l’espace, le général Jean-Pascal Breton avait indiqué, lors d’une audition parlementaire, que les satellites français les plus sensibles suscitaient l’intérêt de « micro-satellites ». « Nous voyons bien que leur cinématique n’est absolument pas normale et qu’elle est suspecte, voire inamicale, de la part de certains pays », avait-il ajouté. Lesquels?

Quoi qu’il en soit, la diplomate américaine a accusé Moscou de « de poursuivre activement le développement et le déploiement d’armes antisatellites. Et Mme Poblete d’ajouter : « Ce que la Russie nous déclare de façon diplomatique et publique risque d’être l’opposé de ce qu’elle a l’intention de faire. »

Un rapport publié en 2016 [.pdf] par la Fondation pour la recherche stratégique avait expliqué les motivations russes et chinoises avec le PPWT.

« La remontée en puissance de la Russie s’avère longue et difficile. Pour reprendre le cas des capacités spatiales, force est de constater que les réalisations en 2014 sont encore loin des objectifs fixés. La situation s’est améliorée partiellement par rapport à 2005 mais elle est encore problématique. Ceci explique aisément les efforts renouvelés de la Russie en coopération avec la Chine pour proposer aux Nations Unies une limitation des usages d’armes dans l’espace au travers [du PPWT]. La Russie montre actuellement un intérêt renouvelé pour les ASAT [armes anti-satellites, ndlr] principalement face au développement et déploiement de la BMD américaine mais aussi par rapport aux essais chinois », résumait ce document.

Quant à la Chine, expliquait-il, « la problématique est un peu différente. Elle se compose de deux volets : d’une part, l’ambition affichée est d’acquérir progressivement la maîtrise totale des compétences spatiales détenues par les autres puissances spatiales et, d’autre part, la Chine considère qu’elle se doit de défendre sa sécurité contre la suprématie américaine. Les tests d’armes ASAT menés depuis le sol doivent être compris dans cette double perspective ce qui brouille un peu les cartes mais en même temps renforce la crédibilité de la posture chinoise et la logique de son intérêt. Une dimension supplémentaire à ne pas négliger est celle de la relation avec la Russie. » Et de conclure : « La proposition PPWT est certes soutenue par les deux acteurs, mais leur intérêt commun à limiter les
avancées américaines n’exclut pas une rivalité sous-jacente entre les compétences héritées de l’URSS du côté russe, et les compétences visées du côté chinois. »

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