Pour convaincre Berlin d’acheter le F-35, Washington va souligner la participation allemande aux plans nucléaires de l’Otan

Chef d’état-major de la Luftwaffe [force aérienne allemande, ndlr], le général Karl Müllner n’a pas caché, en novembre, sa nette préférence pour le F-35A de Lockheed-Martin, en vue de remplacer les Panavia Tornado, appelés à être retirés du service d’ici quelques années.

« Pour remplacer leurs Tornado, les forces allemandes ont besoin d’un avion de cinquième génération, difficile à détecter par les radars ennemis et capable de frapper des cibles à grande distance », a en effet affirmé le général Müllner. Et d’insister : « Il s’agit vraiment de se donner une capacité de dissuasion. Parce que si vous avez la capacité d’envoyer un avion dans l’espace aérien d’un autre pays sans qu’il se fasse détecter, alors c’est un moyen de dissuasion incroyable. » On ne saurait être plus clair.

Cependant, du côté des responsables politiques, on se montre nettement moins enthousiaste. D’une part parce que le F-35 est un avion coûteux, tant à l’achat qu’à l’entretien. D’autre part parce que son éventuel achat aurait des implications diplomatiques et industrielles au niveau européen, et en particulier avec la France. Comme l’a souligné Dirk Hoke, le Pdg d’Airbus Defence & Space, acquérir des avions de combats auprès des États-Unis « pourrait affaiblir l’industrie européenne de la défense et la rendre de plus en plus tributaire de la technologie américaine. »

Alors qu’il est question de mettre au point un nouvel avion de combat franco-allemand (à condition de trouver un accord, ce qui est encore loin d’être gagné), Berlin a dit plutôt considérer l’achat d’Eurofighter Typhoon supplémentaires, d’autant plus que ces appareils disposeront de capacités d’attaque air-sol plus élaborées.

Seulement, il y a un élément à prendre en compte. Et il vient d’être rappelé aux dirigeants allemands par Dan Gouré, vice-président du Lexington Institute et spécialiste des questions de défense et de sécurité.

Ainsi, dans le cadre de la dissuasion de l’Otan, les Tornado allemands ont la capacité d’emporter des bombes nucléaires tactiques (ANT) B-61 américaines. En Allemagne, ces dernières sont stockées sur la base aérienne Büchel, située en Rhénanie-Palatinat.

Or, écrit Dan Gouré dans les colonnes de Defense News, « à moins que le remplaçant du Tornado soit capable d’emporter des armes nucléaires, l’Allemagne ne sera pas en mesure de remplir son engagement dans le cadre de l’accord de partage nucléaire de l’Otan. »

Aussi, poursuit M. Gouré, l’aviation allemande à besoin d’un avion capable de mettre en oeuvre ces bombes nucléaires face à des défenses aériennes « avancées ». Pour lui, le Typhoon ne fait clairement pas l’affaire. « Concevoir, tester et certifier une variante de l’Eurofighter à capacité nucléaire prendrait des années à développer et ajouterait des centaines de millions de dollars au coût déjà élevé de cet avion », souligne l’expert américain.

Et parce que « la mission de dissuasion nucléaire doit être crédible dès le début des hostilités », la « capacité du Typhoon, comme tous les chasseurs de quatrième génération, à pénétrer les défenses aériennes intégrées », comme celles de la Russie, est « déjà discutable », estime M. Gouré.

« Un certain nombre de F-35A […] seront modifiés avec le câblage et d’autres équipements pour leur permettre de transporter la B-61. Les plans actuels prévoient la mise en service d’un F-35A à capacité nucléaire au début des années 2020. Ce calendrier respecterait le calendrier de la Luftwaffe pour la retraite de ses combattants Tornado », a encore plaidé Dan Gouré.

Sans en avoir l’air d’y toucher, l’expert américain défend aussi la candidature du F-35A en Belgique, où l’appareil de Lockheed-Martin est en concurrence avec le Typhoon et le Rafale de Dassault-Aviation (ce dernier ayant été proposé en-dehors de l’appel d’offres lancé par Bruxelles, dans le cadre d’un partenariat stratégique plus large). Cette question de la participation aux plans nucléaires de l’Otan avait déjà fait l’objet d’un débat outre-Quiévrain. Et certains en avaient déjà fait un argument de poids en faveur de l’avion américain dit de 5e génération. Reste à voir ce que fera le nouveau gouvernement allemand, sachant l’importance des questions politiques et industrielles soulevées par cette affaire.

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