L’industrie navale plaide pour un effort accru du ministère des Armées en faveur de la recherche technologique

C’est en qualité de président du Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN) qu’Hervé Guillou, le Pdg de Naval Group (ex-DCNS) s’est récemment exprimé devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale. Et à cette occasion, il a abordé longuement les enjeux en matière d’innovation technologique, lesquels prennent une dimension toute particulière pour la filière qu’il représente.

Ainsi, M. Guillou a vigoureusement plaidé en faveur d’un effort accru du ministère des Armées pour la recherche et le développement (R&D), dont le montant annuel s’élève, actuellement, à 750 millions d’euros. Pour lui, comme pour le Conseil des Industries de Défense Françaises (CIDEF), il faudrait y consacrer au moins un milliard d’euros par an. Et cela, pour plusieurs raisons.

La première est d’ordre commercial : par rapport à la concurrence de plus en plus vive des pays émergents, à commencer par celle de la Chine, avoir un coup d’avance sur le plan technologique peut être un atout déterminant. Mais là n’est pas l’essentiel du propos de M. Guillou.

Cet effort en matière de R&D doit surtout permettre de répondre à « l’accélération absolument fulgurante des cycles et des ruptures technologiques », dont « beaucoup d’ailleurs ne trouvent plus leur origine dans le milieu de la défense comme c’était le cas historiquement » mais dans les secteurs du numérique et des télécoms. Et cette question est, pour le président du GICAN, « fondamental » car les industriels qu’il représente font des « produits dont dépend la vie » de leurs utilisateurs.

« À la guerre, on gagne ou on perd. Mais quand on perd, on meurt. Et pour gagner la guerre, il faut la supériorité technologique au combat », a fait valoir M. Guillou. « Nous, on ne fait pas d’innovation uniquement pour faire plaisir aux ingénieurs ou pour faire du marketing », a-t-il souligner. « Notre raison d’être, c’est de garantir à la marine française mais aussi aux marines [étrangères] avec lesquelles la France décide de coopérer, comme l’Australie, l’Inde et le Brésil, de leur offrir la supériorité technologique », a-t-il continué.

« Si on n’a pas la supériorité technologique, on ne gagne pas la guerre. Parfois, quand on l’a, on ne gagne pas toujours, mais en tout cas, quand on ne l’a pas, on est sûr de perdre », a insisté le président du GICAN. « Et si on a un, deux ou trois trains de retard dans des technologies différenciantes, comme la guerre de l’information, la furtivité, la discrétion acoustique ou la capacité à résister à une attaque de missiles, eh bien on ne fait pas notre travail », a-t-il continué.

Pour illustrer son propos, M. Guillou a pris l’exemple de la future frégate de taille intermédiaire (FTI). Quand le premier exemplaire sortira, en 2023, on sera passé de la 3/4G à la 6G (au moins), c’est à dire que l’on aura assisté à l’avènement de « deux générations de télécoms ». Aussi, a-t-il demandé, « que voulez-vous faire au combat, en 2027, avec une frégate qui aura 100 megabits/seconde pour accéder à des informations du théâtre d’opérations alors que les autres auront 100.000 megabits/seconde? » Et de répondre : « vous perdez quelques secondes, la qualité de l’information nécessaire et donc la supériorité dans l’espace aéromaritime que vous voulez dominer. »

« Garder et sacraliser la R&D, c’est absolument essentiel pour être capable d’intégrer en temps réel les technologies quand elles vont être développées et d’accélérer les cycles. Et cela suppose d’ailleurs […] de revoir aussi la façon dont on organise nos programmes et l’interface entre l’entretien de la flotte et les tâches de construction parce qu’on pense qu’à terme, on aura un continuum beaucoup plus important entre les deux domaines », a expliqué M. Guillou.

Parmi les technologies clés que M. Guillou a citées, l’on trouve l’incontournable cybersécurité, les drones, qu’ils soient aériens, de surface ou sous-marins et le big data qui, associé à l’intelligence artificielle, permettrait, par exemple, d’optimiser le maintien en condition opérationnel (MCO) des navires d’au moins 30%. En revanche, il n’a rien dit sur l’armement alors que les États-Unis promettent une révolution dans le domaine de l’artillerie navale avec le canon électromagnétique (pourtant à l’étude à l’institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis) et les armes à énergie dirigée.

Cela étant, le problème est que la sophistication toujours plus poussée des systèmes d’armes font que ces derniers sont toujours de plus en plus coûteux alors que les budgets militaires ont souvent du mal à suivre. « Si nous restons sur les mêmes logiques de recherche permanente des meilleurs capacités technologiques pour l’ensemble de nos parcs et flottes, la contraction des formats va se poursuivre », prévenait, en 2013, le général (2S) Vincent Desportes, ancien directeur du Collège interarmées de défense (CID, aujourd’hui redevenu École de guerre).

Aussi, il faut trouver un point d’équilibre, comme l’avait laissé entendre le général Pierre de Villiers, lors de l’un de ses derniers entretiens donnés en tant que chef d’état-major des armées (CEMA). « La technologie peut être séduisante et il y a, également, des enjeux industriels liés au développement de capacités particulièrement expertes. Pour autant, c’est le besoin opérationnel, l’utilité de l’équipement en opération, son ergonomie, son adaptation aux conditions de combat, son aspect pragmatique qui doivent aussi guider la réflexion à mener », avait-il expliqué dans le dernier hors-série de DSI.

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