Centrafrique : Le chef de l’opération Sangaris durcit le ton à l’égard des milices « anti-balaka »

Un député du Conseil national de transition (CNT), Jean-Emmanuel Ndjaroua, a été assassiné, le 9 février, dans le 4e arrondissement de Bangui, alors qu’il venait de condamner fermement les violences commises à l’encontre des populations musulmanes.

« C’est un assassinat odieux, ce sont des choses qu’on ne peut pas accepter, d’autant plus que c’est un représentant du peuple. Nous sommes tentés de croire que monsieur Ndjaraoua a été assassiné pour son opinion car nous avions interpellé le Premier ministre sur la question de la sécurité. Le Premier ministre nous a dit que lui-même avait peur », a estimé Sony Mpokomandji, également membre du CNT et dont les propos ont été diffusés par RFI.

Le même jour, le 5e arrondissement de la capitale centrafricaine a été le théâtre de scènes de violences et de pillages. Et cela, malgré l’intervention de militaires français engagés dans l’opération Sangaris. Le commandant de cette dernière, le général Francisco Soriano, n’a pas mâché ses mots à l’égard des milices « anti-balaka », qui mènent des représailles en réponse aux exactions commises par les combattants de l’ex-coalition rebelle de la Séléka (à dominante musulmane), qui avait conquis le pouvoir en mars 2013.

« Ceux qui se disent ‘anti-balaka’ sont devenus les principaux ennemis de la paix en Centrafrique, ce sont eux qui stigmatisent les communautés, ce sont eux qui agressent la force Sangaris », a affirmé, ce 10 février, le général Soriano, selon l’AFP. L’officier a également averti que ces miliciens « seront chassés comme ce qu’ils sont: des hors-la-loi-et des bandits ».

Son homologue à la tête de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), le général camerounais Martin Tumenta Chomua, a usé du même vocabulaire, deux jours plus tôt. « Je demande à tous les hors-la-loi de déposer les armes, à tous les ex-FACA (forces armées centrafricaines) de rester cantonnés. Sinon, ils seront considérés comme des hors-la-loi, des bandits et trouveront en face d’eux les forces de la Misca pour mettre un terme à leurs agissements », a-t-il averti lors d’un point presse, en qualifiant les milices anti-balaka de « nébuleuse hors-la-loi ».

Ancien ministre du président Bozizé, renversé en mars 2013, Patrice Edouard Ngaïssona se présente désormais comme étant le coordonnateur politique des anti-balaka (ce qui semble montrer l’influence des partisans de l’ancien régime dans les violences actuelles). Et, à ce titre, il a réclamé des mesures spécifiques pour les miliciens.

« On a cantonné les Séléka avec leurs armes [une arme par combattant, ndlr]. Les anti-balaka (…) on leur demande de rendre leurs armes sans rien en échange. (…) Il faut les cantonner, leur trouver un projet, pour eux et pour les anciens des Forces armées centrafricaines qui se sont mélangés à eux », a-t-il affirmé.

La réponse du général Soriano a été cinglante. « C’est qui les ‘anti-balaka’? Qui est leur chef? Quel est leur message politique? Quelle est leur chaîne de commandement? » a-t-il lancé. « Personne ne sait rien. C’est une nébuleuse, on est incapable de mettre un vrai visage », a-t-il ajouté. « Les cantonner, ce serait leur donner une légitimité qu’ils n’ont pas, ce serait leur donner la possibilité de devenir une force qu’ils ne sont pas au service d’un sombre dessein, a encore estimé le patron de l’opération Sangaris. « On ne doit pas les cantonner mais les chasser comme ce qu’ils sont, c’est à dire des hors-la-loi, des bandits, a-t-il insisté.

Quant à l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, s’est insurgé contre l’affirmation selon laquelle les milices anti-balaka seraient « chrétiennes ». Comme souvent, la réalité est beaucoup plus compliquée (et ce serait oublier que l’animisme est très présent en Centrafrique). « Les anti-balaka ne sont pas une milice chrétienne. Je le dis et le répète haut et fort: ce ne sont pas des milices chrétiennes », a-t-il affirmé, en soulignant que ces milices, créées dans les années 1990, « protégeaient les populations des coupeurs de routes d’où leur nom anti-machette en sango ». « Appelez-les milices d’autodéfense, milices villageoises mais faites-nous l’économie du mot ‘chrétien' », a-t-il demandé.

« Il n’y a pas que les musulmans qui souffrent des anti-balaka. Nous en sommes tous victimes, a-t-il insisté, avant de déplorer la manipulation, l’instrumentalisation par certains de nos frères, de nos jeunes vulnérables. Certains voudraient les intégrer dans l’armée: c’est irresponsable », a poursuivi Mgr Nzapalainga.

Quoi qu’il en soit, la situation est extrêmement compliquée. « La RCA présente aujourd’hui un double visage. La situation s’est améliorée dans la capitale, qui reste néanmoins le théâtre d’exactions – anti-balaka et animistes exerçant une forte pression sur les musulmans, qui ont largement déserté leurs quartiers –, et, en province, les ex-Séléka règlent leurs comptes dans le sang à mesure qu’ils refluent vers le Nord-Est; dans leur sillage, les anti-balaka se vengent à leur tour des populations musulmanes, s’exposant par là même à des représailles », a ainsi résumé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, lors d’une audition devant la commission « Défense » de l’Assemblée nationale, le 4 février dernier.

Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, Marie-Elisabeth Ingres, chef de mission de MSF-France en RCA, n’a pas dit autre chose. « Dans les villes de l’ouest et du nord-ouest, il y a un déchaînement de violence avec un schéma qui se répète sans cesse. Les ex-Séléka pratiquent la politique de la terre brûlée en remontant vers le Tchad ou en se dirigeant vers leurs fiefs de l’est du pays, ce qui pousse les populations chrétiennes à fuir en brousse. Peu après, les anti-Balaka arrivent et ciblent essentiellement les membres de la minorité musulmane, ce qui provoque un exode massif vers le Tchad et le Cameroun », a-t-elle expliqué, en estimant que la « situation empire dans l’ensemble du pays » et qu' »indéniablement, les soldats internationaux ne sont pas assez nombreux » et cela, « malgré leur bonne volonté et leur mandat de protection des civils ».

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