Des équipes de protection privées bientôt autorisées à embarquer sur des navires civils français ?

La question des sociétés militaires privées (SMP), ou Entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD), est d’autant plus un serpent de mer que ces dernières sont,  tord ou à raison, assimilées au mercenariat, une activité « criminalisée » par la loi française en 2003.

Cela explique la raison pour laquelle il n’existe pas, en France, d’ESSD comme on peut en trouver aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, si ce n’est dans le domaines du soutien, du conseil ou de l’entraînement, comme par exemple Apache Aviation, qui envoie des plastrons pour tester la défense aérienne des bâtiments de la Marine nationale ou encore le groupe DCI.

Or, les 1.500 SMP anglo-saxonnes se partagent un marché évalué entre 200 et 400 milliards de dollars. C’est dire si la demande existe. D’où les conclusions d’un rapport rédigé par les anciens députés Jean-Claude Viollet et Christian Ménard, appelant à faire évoluer la législation française en la matière.

Les avantages d’une autorisation de SMP françaises, bien encadrée, sont multiples. Cela permettrait de faciliter la reconversion des personnels militaires invités à quitter les armées (pour rappel, encore 23.500 suppressions de postes prévues dans la prochaine Loi de Programmation Militaire) ou encore d’avoir recours à des services privés pour assurer la protection d’emprises diplomatiques ou de navires civils pouvant être sous la menace de la piraterie maritime.

Mais à l’époque, le ministère de la Défense avait fait valoir qu’il ne pouvait y avoir de société militaire privée en France. « Et j’emploie le mot militaire à dessein », avait commenté Gérard Gachet, son porte-parole, puisque cela est « du ressort exclusif de l’Etat ». Depuis, le dossier est au point mort et il n’a même pas été abordé par le dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale (LBDSN).

Seulement, cela n’arrange pas les affaires des armateurs français, qui n’ont, pour le moment, que la possibilité de faire appel à des Equipes de protection embarquées (EPE) fournies par la Marine nationale. Or, cette dernière ne peut pas être partout. D’où la menace de certains de « dépavillonner » leurs navires afin de pouvoir louer les services d’une SMP.

En juin dernier, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud, s’était emporté sur cette question. « Les sociétés militaires privées (SMP) sont un sujet qui m’exaspère. Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage, et pour des raisons d’angélisme idéologique, malgré des rapports sur la situation, nous n’avons pas avancé », avait-il lancé.

« Le risque, si nous n’agissons pas, outre le fait de voir nos anciens militaires employés par des SMP étrangères, est surtout que des armateurs sont prêts à se dépavillonner, avec les conséquences économiques qui en résulteraient! Il est contre-productif de faire l’amalgame avec une SMP qu’on emmènerait lors d’une OPEX faire de la protection », avait-il expliqué. « Il est nécessaire de régler ceci par une loi. Le vrai problème est que ça réveille une peur du mercenariat, alors même que ça n’a rien à voir! », avait encore plaidé le CEMA.

Invité à s’exprimer sur la prochaine LPM par la même commission sénatoriale, le 14 septembre, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé une évolution majeure. « Je suis favorable à la reconnaissance des sociétés militaires privées dans le domaine du transport maritime, car la marine nationale ne peut pas tout faire. Je l’ai fait savoir aux acteurs du secteur. Nous sommes proches d’aboutir », a-t-il affirmé. « Vous pouvez d’ores et déjà rassurer nos armateurs : un projet de loi sera bientôt déposé par Frédéric Cuvillier (ndlr, le ministre délégué aux Transports, à la Mer et à la Pêche) », a-t-il ajouté en répondant aux sénateurs.

En revanche, s’il y a une avancée pour le domaine maritime, ce n’est pas le cas pour les opérations terrestres. Le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général Bertrand Ract-Madoux, avait exprimé de « sérieuses réserves » sur l’engagement de SMP « Terre » dans les opérations, tout en estimant « possible » leur « emploi dans le domaine de la logistique », pourvu qu’il soit « limité hors des zones de combat. »

Pour M. Le Drian, autoriser des SMP spécialisés dans l’action terrestre est tout bonnement impensable. « J’y suis défavorable en revanche pour l’armée de terre, car cela s’apparenterait à du mercenariat, ce qui est contraire à notre tradition républicaine et à nos conviction », a-t-il avancé.

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